mercredi 17 décembre 2008

Pour Gianni Motti, Francis Alÿs et Santiago Sierra même.

3 artistes que je distingue depuis plusieurs années pour une première raison : la possibilité de connaître leur pratique artistique sans la nécessité de la voir et donc l'extraordinaire vitalité et pluralité dont elle se dote au moment de sa transmission.

Performances, actions, interventions sont les moyens d'expression que ces artistes peuvent utiliser et étirer jusque, parfois et par exemple, des sculptures abstraites, des drames sociaux ou encore jusqu'à des conséquences politiques réelles. Aussi je crois qu'il n'y a pas vraiment de limite en ce qui concerne la définition de ces activités ou plutôt qu'il pourrait s'agir au contraire d'un travail de résistance de ces limites même.


8-Foot Line Tattooed on Six Remunerated People semble être une bonne introduction à ces problématiques : Que définit l'art et son milieu ? Comment les artistes s'en détachent et en ont-ils encore vraiment cure ? Cette action de l'artiste espagnol Santiago Sierra, réalisée à Mexico en 1999, consistait à proposer à six personnes la somme de 50 $ contre le tatouage d'une ligne sur le dos, qui, les unes à côté des autres, mesure 250 cm. Le titre de la pièce redéfinit et réobjectivise cette même action.
Reste le titre, la photographie, ou le témoignage, voire uniquement le scandale, ironie et réalité de la proposition, comme moyen de mémoriser l'art. Et encore... n'y-a-t-il pas aussi dans le geste de Santiago Sierra un fort doute posé sur ce qui fait art ?
Les lignes, les surfaces désertes, les carrés métalliques... bref l'engagement radical qu'avait investi l'art minimal ou l'art conceptuel sur la perception du réel et son architecture, bien vite récupéré par les préoccupations "contemplatives" de tous nos designers et autres publicitaires, ne se retrouve-t-il pas ici remis en jeu avec une telle virulence qu'il semble ne plus pouvoir supporter l'idée de l'art même ? L'art, devenu ce luxe absolu d'un occident mondialisé. L'art minimal, l'un des courants esthétiques les plus influents de notre début de siècle, devenant, ici par cette performance, un impossible cache-misère.

S'il pourrait y avoir aussi dans les gestes de Gianni Motti une forme de dépréciation de l'art ou une sorte d'indifférence à son égard, ne nous y trompons pas, il s'agit d'une urgence, d'une nécessité, peut-être même d'un cri. Le milieu de l'art est venu reconnaître les gestes de Gianni Motti et les a indentifié en tant qu'oeuvres. Mais dès que Gianni Motti s'est revendiqué en auteur des séismes survenus aux Etats-Unis par le biais des médias, il avait décidé d'agir par les voix de la communication contemporaine et savait qu'il proposerait aussi un décloisonnement de la définition de l'artiste et de ses pratiques. Cela se vérifie nettement lorsqu'il prend la place d'un représentant de l'Indonésie lors d'une conférence de l'ONU pour défendre le temps de parole et les possibilités réduites de l'expression des minorités. Il sort là complètement du champ de l'art officiel et pourtant, nous tous, êtres capables de créativité, de réactivité, pouvons y reconnaître un art de faire, pouvons nous sentir invités par cette courageuse désinvolture à nous emparer du monde réel et à en faire usage.




La définition de l'art se déplaçait déjà au XXème siècle, sous les provocations et les coups de butoir de Marcel Duchamp bien sûr, et pas qu'à cause de lui. Aujourd'hui ce gros monstre a été pulvérisé et s'est partout dissout. Commissaires et critiques peuvent bien brandir des étendards formalistes, l'art n'appartient plus aux spécialistes. Gianni Motti, comme tous les plus grands, nous donne les clés et le véhicule avec... "Un enfant peut faire la même chose" - a-t-on souvent entendu au musée, tant mieux ! Nous aussi !


Francis Alys, quant à lui, architecte de formation, s'est installé comme observateur de la ville. Pas l'une des moindre puisqu'il choisit Mexico City, sans doute la mégalopole la plus vaste et la plus violente de cette planète en ce début de XXIème siècle. Pour ce, l'un de ses premiers gestes sera de faire disparaître son statut d'artiste et de revendiquer aussitôt celui d'un citoyen du monde dans le corps d'un touriste.


Ses faits les plus reconnus ont tout de suite existé de manière oral même s'il s'est très vite attaché à la préparation ou à la prolongation de ces actions au moyen de pratiques plus répertoriables telle la peinture, l'installation ou la vidéo. Ainsi a-t-on pu vite entendre les histoires de ce flâneur provocant qui s'est baladé dans les rues de Mexico, un revolver à la main, jusqu'à ce qu'il se passe quelque chose, en l'occurrence son arrestation. D'autres errances faites, un énorme cube de glace à pousser jusqu'à ce qu'il n'en reste rien, des souliers aimants qui attirent à eux toute la micro ferraille des rues, ralentissant ainsi la silhouette filante, un pot de peinture percé dessinant au sol une fine trace qui permet autant de se perdre que de rebrousser chemin lorsqu'il n'y a plus une goutte... enfin des oeuvres collectives à peine croyables rassemblant des milliers de travailleurs, alignés, déplaçant de 100m une dune à la pelle (mouvement naturel que provoque le vent sur toute une année).

Sylvain Pack

samedi 13 décembre 2008

Contre Clint Eastwood, le juste.



Voilà assez longtemps que la respectabilité cinématographique de Clint Eastwood me confond. Chacun des films que j'ai vu de cet auteur m'ont surpris par leur conformisme et leur propreté, souvent par l'absence de leur discernement. "L'échange", son dernier film qui vient de sortir en France, remportant toujours autant d'estime et d'admiration, confirme en tout point ma répulsion quant à ce regard porté sur le monde.



Clint Eastwood traite de nouveau dans "L'échange" d'un sujet d'une grande affliction universelle, le même qui sert souvent à justifier la peine de mort : l'assassinat et la maltraitance d'enfants. Evidemment ça ne rate pas, le film se dirige lentement et sûrement vers la punition qui nous rassure, nous les spectateurs bien énervés par les images flous d'un ranch sordide et sanglant (conforme à un film d'horreur banal et effrayant): la mort par pendaison du serial-killer, un méchant débile qui mérite l'enfer comme hurle à plusieurs reprises la gentille et belle héroïne qui a subit les pires traumatismes pendant plus de deux heures.
Je ressors épuisé, chargé de tous les miasmes bien-pensants et vengeurs du cinéaste protestant. Ah oui, j'oubliais... heureusement un pasteur d'un courage sans faille, combattant toutes les irrégularités et les infractions de la police, a permis avec ses amis d'une grande loyauté et d'une grande rigidité de rétablir enfin le bon ordre. Conclusion: la fin justifie les moyens. Mais il y a un problème : en cours je suis devenu le réceptacle de la hargne (ou de la blessure) de ce monsieur Eastwood. Devenir cobaye pourquoi pas s'il y a la possibilité d'une prise de conscience mais il me faut absolument manifester contre cette dernière, quand bien même elle aurait été réfléchi : un monde coupé en deux ?... Un péché qui nous sépare, qui fonde la justice ?... Aucune compassion possible. Je lui oppose aussi vite le sublime, le rapide et cinglant "Monsieur Verdoux" de Charles Chaplin réalisé il y a 60 ans.



Criminel endurci et élégant, Monsieur Verdoux est l'objet de toutes les attentions burlesques de Charles Chaplin, de ses manières de séduire jusqu'à ses obsessions mercantiles mais surtout et aussi dans son intelligence tactique de meurtrier. A une époque où l'extraordinaire génie de Chaplin avait à combattre les foudres du maccartysme, la scène du procès final est encore à couper le souffle du tout républicain. Monsieur Verdoux, criminel français, conscient d'avoir séduit et tué une dizaine de veuves pour subvenir aux moyens de sa femme invalide, trouve à dire à sa décharge que son emploi du temps mérite effectivement une condamnation judiciaire mais que ses forfaits feraient figures d'amateurisme en comparaison de la gigantesque boucherie guerrière affichée et organisée par les états du monde non-concerté.

Il y a là pour moi une étrange pertinence face à la lourde main de Clint Eastwood, vieil ami de Charlton Heston, ancien soutien de Richard Nixon, de Ronald Reagan et de Georges Bush, considérés enfin et de plus en plus comme des criminels de guerre avérés. Tout ce que rate Clint Eastwood dans ce film, du haut de ses idées, est de s'intéresser aux différentes caractéristiques et pathologies de l'être humain. Ainsi, comme certains réalisateurs hollywoodiens, il évite sciemment de trop s'approcher du cas du serial-killer et préfère se passionner comme un voyeur morbide, pour la souffrance et le chemin de croix de ses victimes. Sujet de consentements faciles, d'opinions manipulables à satiété.

Sylvain Pack.

jeudi 11 décembre 2008

Pour Etienne Farret, micro et macro-vie.

Il y a dans l'oeuvre d'Etienne Farret et pour ceux qui ont eu l'opportunité de la rencontrer une telle radicalité d'engagement d'auteur qu'elle peut laisser un souvenir violent et insistant. Quelques mots sur son travail circulent sur la toile, peu de photos, plus aucune exposition. Qu'est devenu cet artiste ? Qui montre son travail ?



Soit, l'un de ses axes de recherche consistait déjà en une investigation secrète et personnelle, l'art comme un domaine du réel et de l'imaginaire confondu à explorer non pas dans la démonstration, ni dans l'exposition de ce cheminement mais dans l'expérience vivante, entière. Dialogue avec les ancêtres, visite à la Peur, l'artiste enfant vole et joue plus que sérieusement. Sa première et dernière exposition aurait dû se dérouler, selon son désir, sur Le causse Méjean, info line pour invités choisis : des sculptures enterrées dans un chaos granitique. Une seule exposition hermétique, intimiste et sectaire. Le travail d'Etienne Farret est tout sauf politiquement correct. En attendant le grand air post-apocalyptique, il réalise deux "grottes" dans lesquels il convie quelques artistes de la scène techno parisienne, et d'autres curieux de l'underground niçois. Il fait frémir le corps professoral de la Villa Arson et les renvoie à leur incompréhension en filant montrer son oeuvre déjà très avancé au Canada. A ce moment il clôt un cycle d'une recherche de 10 ans intitulée "Bosnia", figurines customisées, images et installations micro-machines ainsi qu'une immense somme calligraphique et poétique puisant autant dans le gansta-rap, l'héroïc-fantasy que le proto-langage.



Comme l'argile et les émaux pour les céramistes, les jouets et les fournitures de bureau font la matière du sculpteur. La violence survient aussi rapidement que cela. Etienne Farret voit que la majorité de sa matière induit la guerre et la sexualité. Tous les jouets font de nous d'évidents futurs consommateurs, consommateurs de plaisir et de vengeance. Terreaux parfaits des grands seigneurs de notre monde. Là, Etienne Farret dépasse l'évidente critique de notre époque et la restitue dans une atemporalité mythique. Ne voyant aucun changement mais que les réminiscences de notre création, il modèle scènes et postures archétypales dans une sauvagerie et une déliquescence propre à tous les scénarios cyber-punk : la figure d'un veilleur enfoui sous des tas d'armes et de poubelles, un centaure dans un costume de l'armée nazie, un passeur dans une piscine de boue, des débris de droïdes femelles dans un vaisseau en ruine... Ces agencements fragiles sont l'aboutissement de plusieurs interventions et transformations, utilisation du tippex, de la laque, du feutre, du scotch... plusieurs éléments qu'il met à l'épreuve du climat, terre, pluie, soleil, dans la recherche de différentes patines. Processus qu'il emploie aussi en dessin, en vidéo et en photographie.

Aussi précises et moins prolixes, ses interventions s'accordent et se condensent maintenant. A mettre aux côtés de Michel Blazy ou Céleste Boursier-Mougenot, incluant le végétal ou l'animal à ses procédés sculpturaux, Etienne Farret voit des "paysages préparés" s'entretenir et se modifier au rythme d'un temps précieux, tombant et stable, à la lumière de son atelier mais toujours à l'ombre du public.

Sylvain Pack

lundi 8 décembre 2008

Le legs des vieux mourants.

Dans l’effort de distance et dans la crainte d’une anticipation dictatoriale d’un état-monde, on peut imaginer un réseau d’humains ayant refusé le rêve scientifique et démiurgique de l’éternité. Une communauté pluri-ethnique et pluri-philosophique qui sait qu’elle n’a pas les moyens ou qu’elle ne veut pas retrouver son corps ou sa mémoire individuelle ressuscités dans un éventuel futur de l’humanité. Serait-elle régressive ou négative n’est pas la question de cette courte investigation. D’ailleurs il ne s’agirait même pas d’une décision concertée et organisée, ni d’un programme, ni d’un manifeste ayant comme recours à la diffusion de ses arguments écoles, colloques et séminaires.

Ces vivants auraient cependant pour but une transmission désintéressée, hors de toute spéculation, fondée sur des systèmes d’inviolabilité, de protection contre toute récupération autoritaire. Ces systèmes ont d’ailleurs sans doute déjà existé et sont aujourd’hui difficiles à décoder. A l’aide du récit, de la poésie, de l’art en général, ils ont permis de nous préserver de la dégradation des consciences aux heures sombres de l’histoire. Aujourd’hui où la majorité de la planète a été remise dans les mains d’hommes d’affaire qui se cachent et ne donnent aucun signe d’amélioration pacifique et sociétale, il serait sage de penser à l’avenir des enfants, de leurs enfants, et ce qu’il leur a été transmis. Le spectacle orchestré par les seigneurs de la guerre économique est l’un des plus grands écrans de propagande et de désinformation jamais conçue, dont les conséquences désirées sont l’amnésie du peuple et sa docilité à rentrer dans des critères de rentabilité dont ils ne seront jamais les bénéficiaires. La liberté d’opinion et la circulation de la contre-information, pareil aux parodies ou aux traditions orales anciennes, rejaillissent pourtant, foisonnantes sous de multiples formes cognitives et numériques, « streamés », « remixées », « piratées » dans la sphère de l’internet. Et c’est bien l’une des raisons pour lesquelles les multinationales investissent tant de leur argent à vouloir imposer leurs propres règles de marché dans cet outil de communication afin de contraindre leur utilisateur à rester dans l'ignorance. Je crois que l’opérateur Google a joué un rôle conquérant et essentiel lors de cette bataille. Trouvant le moyen de s’imposer dans le marché réel de l’économie et d’en faire profiter ses employés de manière nouvelle, l’entreprise et le leader de son secteur, Google, a réussi à imposer au monde son propre mode de fonctionnement, équilibre étrange entre la libre circulation d’informations et la publicité ainsi que la location de certains de ses services en constante recherche d’amélioration technique. Cet organisme devient malgré lui un acteur moral incontournable. Il fait donc l’objet de polémiques complexes et difficilement cernables. Ainsi est-on en bon droit de douter de la sérénité de ses relations avec les états et notamment leurs services de renseignement. Il est effectivement normal de s’offusquer de la censure dirigée par le gouvernement chinois surtout lors des émeutes de Lhassa avant les jeux Olympiques dont le monde entier devine l’ampleur des enjeux économiques (et dont il ne profitera toujours pas). Aussi est-il normal de se réjouir et de s’interroger sur la mise à disposition des bibliothèques nationales.


Même s’il est le plus puissant économiquement, Google n’est pas le seul opérateur. De nombreux autres web-samouraïs s’emploient à continuer l’œuvre des pionners dans la défense de libertés citoyennes et la propagation sans profit des canaux d’informations appelés « le libre ». Mais il me faut reconnaître ici à quel point j’ai digressé de mon introduction. Ces combattants du libre seraient-ils eux même membres de cette communauté invisible refusant toute expérience de résurrection programmée, éloignée de toute tentative de réactivation de mémoire individuelle ? Rien n’est moins sûr.
Je regarde alors le cheminement oblique de ma pensée. Je commence mon texte en appelant à une idée de lutte et de refus. Je me méfie onthologiquement de la commercialisation de ce rêve et je dérive. En regardant par la négative à qui profite le « crime », habitué à avoir été la proie de manipulations éducatives et scolaires, j’utilise un mode de pensée paranoïaque afin de mettre au clair ma compréhension des nouveaux moyens de connaissance et de leurs transmissions. J’y reviens maintenant avec un autre regard, plus vigoureux, plus troublé aussi par l’échauffement de ma pensée :

La mort est une porte préparée par chacune de nos vies, inexorablement. Qui la craint le plus si ce n’est ceux qui sentent ne pas avoir eu le temps de se réaliser ? Ceux-la évidemment ressentiraient-ils plus le besoin de prolonger leur temps sur terre ? Ou peut-être sommes-nous déjà conditionnés depuis longtemps par la conscience de devoir mourir et regretterons-nous plus tard cette étape comme du cadeau le plus précieux que la vie nous offrait dans son accomplissement et sa raison ? Il y aurait déjà, dans cette prospection du futur, une nostalgie de la mort, des regrets à venir de quitter le concept d’œuvre, de chose conçue et achevée, qui se livre avec ou sans clé, tandis que s’ouvriraient aux éternels cyborgs que nous serions devenus, l’apaisement de l’infini et maints pouvoirs que nous attribuions tantôt aux dieux...


Jeté dans l’équivoque de ces questions, je me souviens du legs des vieux mourants. Eux qui avaient décidé de se soumettre au soleil et à la lune. Eux qui se faisaient accompagnés par leurs enfants en haut des montagnes lorsqu’ils sentaient leur fin venir, ils allaient cueillir les derniers fruits, l’air, le vent, le feu et confiaient à leur descendance ce qu’il leur était le plus cher.

Sylvain Pack

lundi 1 décembre 2008

Prison pour les enfants, une leçon d'incivilité.


Il y a beaucoup de choses à dire d’une société qui décide d’élaborer un système pénal pour des êtres humains âgés de 12 ans.

Comment commencer alors que je n’ai qu’une connaissance instinctive de la justice ou de l’histoire des mœurs ?… Voilà tant d’années que nos plus grands penseurs décrivent ce processus d’auto-censure, de castrations, de paranoïa sécuritaire dans lequel nous sommes aujourd’hui pleinement embarqués. La somme critique et analytique est considérable, chez Foucault, Debord, Chomsky pour ne citer que les plus influents.

Penser qu’un enfant, puisqu’à 12 ans l’être biologique est un enfant (son expérience de la vie reste de douze années), doit être enfermé pour empêcher de nuire est non seulement une mesure irresponsable sur sa progéniture, mais surtout une menace sur son futur développement. Avoir peur de sa jeunesse, vouloir la dominer est déjà la preuve de l’échec de ses aînés. Il n’y a évidemment pas à discuter de la manière plus ou moins thérapeutique avec laquelle sera fait ce nouveau traitement, le but reste le même, déguisé sous de multiples décisions moralistes et nécessaires à notre bien-être : optimiser les moyens de contrôle exercés sur la population. Notre président actuel, un acteur tout aussi et différemment vulgaire que d’autres pantins européens à la solde de l’économie planétaire, pourrait être un agent de la CIA ou un socialiste convaincu de sa mission d’égalité des chances qu’il restera toujours coupable aux yeux de l’histoire et de son peuple d’accéder à un tel mépris, à une telle incompréhension envers ce qui caractérise la délinquance juvénile.



Je peux reprendre ce que je transmettais à mes élèves de lycée technique et ce que je retraduirai différemment aux enfants délinquants de foyers dont je veille les nuits. Le travail de la mémoire est un baume d’une grande douceur qui nous cache la cause de nos blessures les plus profondes. Il reste cependant de cette opération magique des récurrences les plus désastreuses au niveau social et affectif. On appelle cela des névroses, des obsessions, toutes majoritairement résultantes de traumatismes que nous avons eu à subir ou que nous avons fait subir. A ce niveau, nous sommes en total inégalité et tant que les hommes de pouvoir ne décideront pas d’un effort d’entraide et de partage des chances, la violence restera endémique. Il ne s'agit pas ici d'abonder aux thèses de la violence fondamentale de l'homme et sa nécessité de trouver un bouc émissaire pour protéger son désir d'équilibre social (immigrés clandestins, déficiants psychiatriques...) mais de pointer l'incompréhension des gens de pouvoir à l'égard de l'inégalité humaine. L'égalité est une fiction républicaine. Une valeur utopique qu'on a considéré comme quelque chose d'acquis alors qu'elle demandait tous les soins sociaux, toutes les bienveillances et toute la rigueur du politique. Que dit-on aux élèves de l'éducation nationale ?... qu'ils peuvent tous y arriver. Oui et heureusement. Qu'ils soient tous égaux est une fable odieuse, entretenue avec religiosité et bonne conscience. L'homme de pouvoir en fait sa couverture, dispersé par ses voyages, ses vacances et ses biens.

Dépister les signes avant coureur de violence chez l'enfant et vouloir déjà l'en prémunir est la suite méthodologique et terrorisante, la préparation d'une guerre indélébile envers la jeunesse, un infanticide de masse déguisé. Rien d'exagéré à mon propos lorsque, hors de tout contexte, on a la triste opportunité d'observer le processus de destruction humaine qu'entraîne l'enfermement chez ses deux protagonistes, la victime et son bourreau.

Sylvain Pack

mardi 25 novembre 2008

Pour Giorgio Agamben, pour un monde plus ouvert.

Je vais essayer de vous partager certains outils de pensées qui m'ont été légué par une lecture dilettante et passionnée de l'oeuvre en cours de Giorgio Agamben. Il ne s'agira en rien de nouvelles idées mais plus d'appropriations et d'entendement personnel. Je tiens au fait de ne pas me référer directement au texte afin de vous suggérer l'impact et la force de ce travail de pensée. Ce n'est pas une contradiction. Vous verrez j'espère que la persistance de ma mémoire à l'égard de ces livres et sa façon d'en digérer les noeuds conceptuelles est plus une preuve de régénération.



Très sensible à la manière dont Giorgio Agamben glane puis dissèque ces objets avant d'en actualiser le contenu à travers plusieurs époques, je vais laisser aller mon esprit à sa première pierre agambienne. Néoténique, rose, bleu parfois presque transparent, je suis cet être humain, non-fini. Non-fini parce qu'humain. A la différence de l'animal ou du végétal qui, eux, sont parfaitement adaptés à leur environnement. Jakob von Uexküll, Martin Heidegger, Gilles Deleuze, Georges Bataille participent chacun, avec leur connaissance propre*, à réouvrir, à la compréhension de nos contemporains, ce rapport à l'animalité et donc à ce qui fait notre humanité. Pas notre humanisme, expérience intéressante et discutable, pas l'histoire de notre humanité, pas son futur mais son rapport à ce qui fait de nous des humains. Par une comparaison toute scientifique, nous observons que notre corps révèle des symptômes d'un être inaccompli à plus d'un titre. Sa biologie fraîche et glabre évoque à Giorgio Agamben une sorte de lézard, à qui il manque quelques évènements pour devenir une salamandre épanouie dans son milieu. Un animal qui saurait ce qu'il a à faire, qui vivrait, comme Georges Bataille semblait y rêver, "notre" paradis perdu ou peut-être ce à quoi nous tendons, de tout coeur...
Notre réflexion est la victime de cette différence. Notre intelligence, la conséquence de cette frustration, de ce retard. Ma pensée est foetale, mon corps le prouve. Je suis l'enfant humain qui se voit et se réfléchit. L'épanouissement de mon humanité est contenu dans l'éternité de mon enfance.



Créatures de mondes fantastiques, d'enfers mythologiques, soient-elles nymphes ou harpies, vous n'êtes qu'images ! Vous êtes cela encore aujourd'hui, encore et plus que jamais autour de nous, multipliées, excessivement animées. On vous racontait autrefois là où l'on se méfiait de la nuit autant que des contre-jours. L'histoire du mot Image semble même provenir de vous-même, Créatures. Ainsi, anciens émissaires et malignes marionnettes sans âme, sensuelles et débauchées, heureusement, vous nous avez toujours trompé. Vous nous avez détourné des dieux pour ne pas en être égaré, vous nous détournez toujours d'un autre réel... Orphée avait pour interdiction de se retourner lorsqu'il ramenait Eurydice hors des Enfers mais il l'a fait. Il semblerait que sa vie entière en ait été totalement bouleversée: son entendement, sa joie, sa sexualité... Giorgio Agamben m'invite là à une interprétation plus personnelle de ce passage d'Orphée. Les dieux ne le mettaient-ils pas finalement en garde contre la vérité ? Peut-être qu'il ne s'agissait pas tant de se retourner sur Eurydice qui était interdit. La version de Jean Cocteau abondait aussi mais pour d'autres raisons sur le caractère polymorphique d'Eurydice. N'y aurait-il pas plutôt dans la menace des Dieux l'interdiction formelle de les regarder, eux-même, à visage découvert ? Aussi les créatures ne sont-elles pas que de vulgaires distractions mais des intelligences plates qui maintiennent la vue de l'homme trouble, qu'il n'ait à déchirer le voile des illusions et à se retrouver aveuglé par la vérité.

Les animaux voient les images. Les hommes voient leurs apparences. Les apparences se modifient en fonction de l'angle ou de l'ordre dans lequel elles entrent dans l'être. Elles définissent sa mémoire et le conditionnent de ses sentiments avec son souffle. L'amour même, revisité et remis au goût du jour par les troubadours, serait un ordonnancement de ces apparences, une sombre tactique, un dérivé d'une leçon bien plus narcissique concernant la recherche de sa propre possibilité d'être. D'être mis en face de ses souvenirs. Je sens bien que je créé ici des ellipses radicales mais il s'agit de ce à quoi me servent les instruments de la philosophie : d'une efficacité, de sa mise en pratique, de son intégration personnelle. Martin Heidegger s'entretient de nombreuses fois avec Hannah Arendt dans leur correspondance à ce sujet, de manière plus tendre et décalée. Il s'agit semble-t-il d'une sorte d'espoir consistant à une toute autre expression de l'existentialisme, celui de hisser comme la plus grande preuve d'amour le laisser- être. Le laisser-être, peut-être déjà "l'à-côté".




Hannah Arendt a écrit un commentaire sur la remarquable qualité de Walter Benjamin à user de la philosophie, de l'histoire ou de la littérature comme d'une matière poétique. A cela elle ajoutait son invention et sa spécialité consistant à faire glisser les textes les uns vers les autres aux endroits les plus appropriés, de les reprendre ou de les poursuivre avec la plus grande courtoisie. Giorgio Agamben est un des héritiers les plus distingués de cette méthode et de la croissante complexité sémantique qu'elle implique. Ainsi il reprend dans sa théorie de la singularité quelconque un moment de constante curiosité qu'aura Walter Benjamin à l'égard de la pensée chassidim et la relecture qu'en aurait eu Franz Kafka. Ici Walter Benjamin regarde curieusement donc la place du paradis religieux et celui aujourd'hui qu'on pourrait croire évidemment perdu ou le plus souvent inexistant. Là, ni l'un, ni l'autre, le paradis serait à peu près pareil qu'ici et maintenant. Il serait aussi juste à côté.

Ainsi, semble-t-il, je fais de cette pensée plurisémique une lecture personnelle, en travers, analyse oblique de l'image et de son utilisation par les hommes. De la nécessité de l'art d'interroger ses différentes étapes et du pouvoir qu'elle a exercé et qu'elle exerce plus que jamais sur notre inconscient collectif. Enfin de trouver des solutions ou de proposer au plus vite des activations d'épanouissement profanateurs.

*la biologie, la philosophie, la littérature, l'art

Sylvain Pack

samedi 22 novembre 2008

Contre Romeo Castellucci, naufrageur d'images.



Il y a autour du travail de ce metteur en scène et ancien plasticien, un consensus mondain consistant à accepter d'emblée l'infondé du message produit ou l'absence même de pensée personnelle par le seul fait de sa maîtrise scénique, fait discutable en de nombreux spectacles proposés. Il n'y a par contre aucunement à douter de l'efficacité de son équipe de communication et de ses alliés à de hauts postes culturels. Les images des spectacles peuvent effectivement susciter l'appétit des voyeurs contemporains que nous sommes devenus. Un bébé abandonné, sanglotant sur le sol froid d'une grande architecture mussolinienne. Un obèse grimé, des femmes anorexiques hurlantes, un homme ensanglanté soutenu par la police... quelques clichés très léchés par la lumière et le vide environnant, révélateurs bien propres d'une époque en détresse.

On pourrait commencer ici à reprocher à Castellucci son esthétisation de la douleur mais il s'agit franchement et ce, depuis les premières crucifixions, d'une vieille guerre inutile, des piétas italiennes jusqu'aux affamés de Sebastiao Salgado. Chaque artiste est en droit de dessiner sa stylistique, jusqu'à outrance, jusqu'au rococco ou au trash, s'il parvient à se laisser conduire jusqu'à ses penchants les plus intimes. Et c'est là que je commence à douter du travail expérimental de Romeo Castellucci, d'autant plus que les résultats scéniques semblent s'apparenter à de nombreuses images vues ailleurs mais, souvent, si appauvries par leur spectacularité, qu'elles me renvoient immédiatement au contexte de leur pillage. Plus triste encore quand j'apprends que l'escaladeur, Antoine Le Menestrel, grimpant le palais des papes à main nu et promettant ainsi dès le début de l'Inferno présenté au festival d'Avignon 2008, une performance simple et unique (qui se serait passé aisément de tout le reste du spectacle), est un artiste lui-même qui escalade des monuments. Son action utilisé ici, comme la plupart des scènettes qui vont se suivre, souffrent ainsi de rapprochements douteux. Les chiens agressifs // Oleg Kulik, artiste phare entièrement engagé dans son rapport à l'animalité et dont les oeuvres viennent d'être censurées à la Fiac de Paris 2008. L'utilisation si pathétique d'un morceau d'Arvo Pärt déjà, maintes fois, acheté par le cinéma et la télévision. La consternante appropriation des accidents d'Andy Warhol. Le rite sacral et ridicule des morts tombant en croix... bref une panoplie bêtifiante d'un enfer mou et coloré, réitéré par des clins d'oeil référentiels sans recul et peut-être pire encore, sans aucune autorisation ou citation.



A ce stade, c'est évident, Romeo Castellucci est un naufrageur d'artistes vivants et morts. Il n'y a qu'à lire ses plaquettes pour réaliser à quel point l'artiste se noie de références écrites qui n'ont aucun lien avec la matière de ce qu'il propose. Je n 'ai pas connu de spectacle plus brillant et plus artificiel, sans aucun fond si ce n'est celui du seul vouloir nous en mettre plein la vue. Ce spectacle aurait terrorisé Guy Debord. Y aurait-il vu l'accomplissement et le règne du divertissement culturel... et aurait-il pu même être rassuré par l'accueil insensible d'un public de 2000 personnes ? Les journalistes eux ne se sont pas dégonflés. Entièrement complices des programmateurs, ils se sont rués pour crier au génie en s'appuyant sur le mensonge éhonté d'un enthousiasme unanime des spectateurs.

Voilà donc Romeo Castellucci hissé au sommet de la modernité et de la provocation, comme son ami Jan Fabre il y a deux ans et qui le lui a bien rendu, avec une constellation de clichés religieux et moralistes. Voilà donc venu ce temps d'idolâtres obscurantistes pris pour des iconoclastes !

Sylvain Pack

vendredi 21 novembre 2008

A l'attention de Benoît Hamon.



Si, comme il le manifeste, Benoît Hamon souhaite incarner une nouvelle force d'opposition à la droite française, il va lui falloir sûrement plus de pouvoir et d'assurance que d'intelligence compassionnelle ou d'idéologies tolérantes, bonnes intentions propre à l'image socialiste. Benoît Hamon n'aurait cependant aucune raison de ranger sa bonté au placard. Tout au contraire, la seule possibilité qu'il a de faire entendre l'injustice sociale et la détérioration culturelle de son pays serait celle de monter son discours à un niveau plus élevé que celui auquel les médias politiques nous ont habitué.

benoit hamon

Evidemment à notre époque de corruption visuel, il est utile pour tout intéressé à la parole politique d'avoir une certaine connaissance de l'image que l'on donne. Toutefois la pire des solutions qui serait de se fabriquer une image en fonction d'un audimat ou du seul désir de plaire ne peut mener à court terme qu'à une certaine schyzophrénie et à une destruction très certaine des relations qui nous sont chères. En outre il est préférable de cerner les enjeux de son image par les voix plus sereines que nous offrent les sciences humaines depuis moins d'un siècle, telle la sociologie, la linguistique, l'ethnologie ou plus particulièrement la psychologie. Suis-je ici entrain de me demander si Benoît Hamon ne gagnerait pas à plus étudier et à entamer une analyse ?... Non, ce serait exagérer et préjuger de sa personne, et de son parcours qui m'est inconnu. Il y a cependant, dans cette pique, plus l'envie de croire en une lutte, déjà bien mise à mal non seulement par la disparition d'une gauche d'opinions mais aussi par la naïveté affichée d'une personne qui désire représenter une relève contestataire, en citant son âge par exemple. Pourquoi j'écris alors à son propos et ne m'intéresserai-je pas plutôt à Olivier Besancenot ? ...
Dans une perspective stagnante et morne de notre paysage politique français, il y a de forts doutes quant à la réussite électorale du jeune anti-capitaliste à moins qu'il ne fédère suffisamment de colère pour renverser le régime républicain actuel. Je continue alors sur la piste tranquille de la démocratie, fidèle à ses systèmes de bascule et j'invite utopiquement notre jeune Benoît Hamon à plonger plus solidement ses racines dans les connaissances contemporaines qui s'avèrent d'excellents outils d'émancipation intellectuelle, de communication aussi.



Enfin ce n'est pas parce qu'on abêtit le peuple que le peuple est bête. Nous saurons reconnaître quelqu'un qui pense droit et qui n'use pas de démagogie langagière à l'endroit de ses convictions. Les américains ne s'y sont pas trompés. L'engouement à l'égard de Barack Obama n'est pas l'unique résultat d'une campagne publicitaire. La charge émotive et humaniste de son discours semble plutôt porté par un homme qui s'instruit et s'entoure de personnes de conscience, ce qui fait de lui aujourd'hui, ce dont rêvait notre siècle des lumières, un jeune despote éclairé.

Sylvain Pack

jeudi 20 novembre 2008

Pour en finir avec le jugement de dieu.

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Novembre 1947, Antonin Artaud en finit avec le jugement de Dieu dans une radiodiffusion qui sera aussitôt interdite d'antenne. C'est aujourd'hui un document sonore irradiant toutes les oreilles qui s'en sont approchées. Influençant ce qui s'appellera la poésie sonore, la beat génération, la performance, le théâtre contemporain en général, son oeuvre se trouve ici incarnée dans une heure et demi de vision extra-lucide qu'il est encore difficile de s'approprier. Je la réécoute souvent. Il m'est arrivé à l'occasion d'en rire, et d'en pleurer, peut-être aux mêmes endroits.



J'essaie de vous dire ce que je comprends. Pour cela, j'écoute l'être cocasse, plein de douleurs conquises, qui hisse la voix hors du masque et projette la parole dans un espace intemporel. Ce que j'entends, surtout vers la fin, c'est que l'esprit vital, l'énergie immanente à la nature était considérée, sans préjugé aucun, par les Taharumaras comme ce qui est Dieu. C'est à dire que la force reproductrice de l'être était Dieu lui-même.
Mais depuis que les civilisations modernes ont envahi la planète, cette notion divine a reçu le choc physique le plus radical qui soit. Partant du fait divers fort probable de manipulations génétiques réalisées aux Etats-Unis, dans le but d'accroître l'armée américaine et d'employer toujours plus de soldats, Antonin Artaud constate l'intervention humaine à l'endroit de sa reproduction. Sa possibilité de corrompre ce qui lui était supérieur. L'homme se penche sur son anatomie, compile les chromosomes, sélectionne les spermatozoïdes, choisit les ovules et opère à vue de nez Dieu, devenu ce microbe. Je ne peux cependant vous certifier mon interprétation, je me souviens un jour avoir mieux compris. Antonin Artaud poursuit avec une théorie déjà existante, que l'on retrouve au hasard de nombreuses sectes, inspirées pour certaines directement d'un christianisme primitif.
La nécessité ou la probabilité de l'émasculation future du mâle humain.
Il y a quelque chose entre les jambes de l'homme qui le démange, qui lui enlève la possibilité d'être lui-même. Il y a aussi d'autres organes, tel que l'estomac, l'un de ceux qui, chez Antonin Artaud, a connu le plus d'ascèse et de manquement. La faim et l'instinct de reproduction enlève de l'homme à l'homme. L'homme obéit à Dieu et devine de temps à autre qu'il pourrait y échapper. Certaines interprétations mystiques annonceraient le christ, celui qui est décrit dans les évangiles synoptiques, comme le prophète de la cessation de la reproduction humaine. L'épanouissement de l'espèce humaine dans sa propre fin et son retour au paradis perdu. Toutes les femmes et tous les hommes arriveraient à la radicalité philosophique du suicide collectif. Sans pour autant programmer leur mort, ils décideraient tous d'un commun sentiment qu'il n'y a plus lieu de continuer cette espèce et qu'elle peut sagement, comme des milliards de socrates, se dire adieu.
On trouve aujourd'hui des réalités parallèles tel que l'accroissement de la stérilité masculine la chute de production spermique et d'autres annonces eugéniques qui semblent concorder aux pressentiments d'Antonin Artaud. La cryonie, la thanatopraxie sont autant de rêves d'immortalité portés au regard du grand public... L'option neurologique, la préservation du cerveau dans l'attente d'une résurrection future, jouirait-elle de la colère ou de la pitié de notre disparu et "jamais oublié"?

Dieu se voit lui-même. Immanent. Inconnu. Il a aussi été créé par l'homme, à son image. Dieu anthropomorphe qui génère une éternelle colère, qui le punit ou le comble. Dieu mort, à l'image de l'homme encore, décédé. Transcendance passée. Légende désuète. Consolation des miséreux. Guerre des dieux, guerre des hommes. Dieu d'amour, brasier de corps, pullulence d'esprits. Dieu alter, hors de l'égo, dieu double, âme des forêts. Dieux païens, dieux des sables. Dieu femme. Dieu panique, dieu diable. Je me souviens que je le remerciais. J'avais décidé de ne garder que ça. J'avais honte de lui demander des choses et j'avais l'impression qu'il me les accordait. Je m'adressais à lui sous formes d'offrandes et de pensées. Il me reste ce souvenir et de l'autre côté Artaud le Mômô, supplicié par sa lutte organique, Arthur Rimbaud titubant dans le désert de Djibouti.





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Antonin Artaud prend au piège le dieu des tyrans.

Antonin Artaud a lu Arthur Rimbaud, et a su craindre comme lui "les blafards dimanches de décembre, où, pommadé, sur un guéridon d'acajou, il lisait une Bible à la tranche vert-chou". Dedans, comme lui, outre le formidable réceptacle d'histoires équivoques, il a bien dû se demander ce que cacher le plus naïf des contes cosmogoniques que sont Adam et Eve. Alors au lieu de nous en parler directement, de nous rabâcher une einième glose, il a préfèré s'en dégager, sans même lui porter un regard, un commentaire... Preuve sans doute qu'il en connaissait parfaitement les fondements kabbalistiques et les détournements religieux.

Dans cette attaque, cette "dénonciation", il évite les maladresses de Freud ou de Nietzsche qui sont, avant lui, les plus armés en la matière et les plus grands terroristes du système chrétien. Là où Nietzsche et Freud regardent froidement leurs adversaires dans les yeux, en démontant laborieusement ou furieusement les fondamentaux (Freud allant jusqu'à se mesurer en tête à tête avec le Moïse de Michel Ange, trouvant sans doute en lui un alter-ego), Antonin Artaud va droit devant et espère avec nous: il mange "le peyolt à même le sol" dans la terre des Taharumaras, il soigne ses nerfs, son coeur* de prophète athée, de chrétien syphilitique et se jette hors de la géhenne.
Ni Eve, ni Lilith, ni Anaïs, ni même Morgane à condamner. Aucune femme, aucun homme n'a pêché. Notre corps, notre esprit se fragmente, se partage et se reproduit. Oui un corps sans organe peut être établi mais à la condition que plus aucune Eve, aucun Adam nous soit encore raconté. Oui, car par qui était-ce vraiment utilisé ? Qui est vraiment corrompu, l'homme dans sa propre énergie vitale et sexuelle ou l'homme qui convoite celle d'autrui ? A qui vraiment a profité ce conte du péché originel ?

Il en fallait des penseurs nocifs pour préméditer et organiser le contrôle de l'espèce humaine sous sa forme première, énergétique et sexuelle. Car il suffisait alors d'un peu d'études chez nos pairs indiens et de beaucoup d'ambition pour comprendre que brider l'orgone des humains, à savoir mettre le poids de la faute sur l'épanouissement sexuel et particulièrement sur l'orgasme, c'était organiser le monde par classe : sélectionner par le mariage, privilégier les jouisseurs, bannir les anormaux, faire peur, traumatiser l'enfance et maintenir la pauvreté du peuple. Voilà certainement un programme tout à fait réfléchi et pensé par des êtres subtils et cultivés. Si vous doutez de ce raisonnement, je vous suggère de développer en chapitre personnel chacune des propositions de ce programme au regard de la manipulation sexuelle et vous verrez que nous nous retrouverons pas à pas sur le même plaidoyer qu'Antonin Artaud, traquant les influences néfastes à l'union du corps et de l'esprit, oeuvrant à l'ivresse, à la métamorphose et à la justice de l'espèce.

Sylvain Pack.

* Le peyolt est avérée une des médecines sacrées amérindiennes les plus puissantes, notamment pour les problèmes cardiaques et les douleurs articulaires...

mercredi 19 novembre 2008

histoires de l'art / La représentation.



On entend encore couramment qualifier la maestria d'un peintre à sa capacité à égaler le regard, à reproduire sa vision. Toutefois on sait dorénavant et ce, depuis Vasari que « la peinture est une fenêtre sur le monde », c'est à dire un cadre ordonnancé par le nombre d'or, et donc que cette reproduction du réel est un éternel "non-finito", délimité par quatre angles. Si le magicien qu 'est l'artisan fresquiste à l'ère romane ou l'artiste ingénieur de la Renaissance s'essayait souvent à sortir de ce cadre métaphorique par de grandioses représentations cosmo-religieuses, il se pensait aussi l'humble copiste d'un univers orchestré par des forces incontrôlables et supérieures à son défi démiurgique.

Le pouvoir de ces images opéré sur les masses était grand et les autorités politiques en savaient quelque chose puisque la plupart de ces oeuvres se trouvent encore et principalement dans des lieux de culte, des palais royaux puis un peu plus tard dans des maisons d'état. Finalement le public avait l'accès rare à ces visions globalisantes, devenant parfois l'occasion de pèlerinages ou de cultes populaires thaumaturgiques.

Mais qui est ce public qui croit voir des revenants et des sorts invoqués derrière des agencements de couleur ou même des larmes de sang s'écoulant de sculpture ?
Est ce celui qui réclame l'art que lui cachent les seigneurs dans leur château et qu'il occulte en sublimant les effets de ce mépris ?
Ou se pourrait être déjà ce public créateur qui reçoit, écoute et dépasse l'oeuvre en la faisant sienne ?
Les deux propositions sont envisageables. Il est probable que la deuxième ait fort à faire avec l'indépendance future de la pratique picturale car si l'histoire de la peinture va peu à peu engendrer de sublimes solitaires, on y verra aussi de plus en plus de sujets "vulgaires".

Le Caravage produit soudainement et d'une façon fulgurante une révolution conceptuelle peu après l'organisation quasiment patriarcale de la figuration en Italie. Homme à la biographie obscure et violente, il se détache autant de l'empreinte renaissante de la peinture que de la représentation cosmogonique de ses contemporains. De par la taille de ses productions et de leur mise en scène, il va considérablement participer à rendre à ceux peut-être qui le méritent le plus, comme ses jeunes amants, le résultat de ces longs moments d'observation et de transformation de la matière. L'aspect fragmenté de son oeuvre en appelle à plus d'intimité, comme à des réminiscences, à des instants de nostalgie pure. Un jeune homme sur un fond beige non déterminé, la chemise ouverte, la tête en avant, les lèvres molles, saisi sans doute dans un instant de désir retenu, offre, et dans son regard lascif et dans la gerbe qu'il porte, les fruits amères d un amour fugace, déjà atteints par les empreintes malades de leur finitude, branches brisées, feuilles brunes.


Jeune homme portant une corbeille de fruits, 1593


L'oeuvre du Caravage est alors vite achetée et protégée par les puissances économiques de l'époque comme la famille Borghese mais son réel impact se répercute d'abord chez ses fidèles successeurs appelés simplement Caravagistes puis aussi et surtout chez les défenseurs d'un authentique témoignage du vivant. Il y a dans ce fameux choix du clair-obscur comme un rapt, une appropriation d'un temps sec, déjà photographique car il devient spectaculaire en focalisant l'attention sur une action, un détail crû, les pieds verdâtres de la vierge au tombeau, une misère subtile, la main de la diseuse de bonne aventure qui vole une bague à son client. Cet intérêt prononcé pour l'être spécial, pour la chose commune dévoilée, va créer de la modernité dans l'histoire de l'image occidentale, va par exemple permettre à Rembrandt de se retrouver si souvent devant un miroir et de se représenter avec un regard défiant sa propre objectivité et soumettant la nôtre à plus d'acuité, de critique, peut-être même de méfiance.
(...)



Autoportrait, 1628


Poursuivons donc en explorant les possibles de cette infra-histoire par l'intrusion récente de l'image photographique qui sera elle-même bien vite suivi par sa corollaire en mouvement, la pellicule. Comment donc les artistes peintres assignés à un rôle visionnaire ou journalistique, arpentant les chemins d un réalisme engagé comme Gustave Courbet et poursuivant un témoignage hypothétiquement universel de l'oeil, ont-ils pu se sentir exclu de cette mission et quelle conséquence radicale a eu ce procédé technique sur leur manière de produire des images ?

texte en cours

histoires de l'art / La conception.

Comment en vient-on à produire une pensée artistique ? Reproduire soit... nous l avons déjà abordé et, semble-t-il les récentes découvertes de la psychanalyse sont plus précises sur ce sujet : copier la nature parentale, animale puis peut-être et certainement peu à peu réfléchir, réfléchir l acte premier de créer, faire une histoire à partir de l art : une histoire de l art, déterminer et définir le mot d art. Etrange prétention de l homme que cette science. Science obscure, difficilement cernable, qui connaît des règles et s enorgueillie souvent à les détourner. L art de faire quelque chose, une chose, au début... finalement créer. Créer avec la glaise : être artisan, potier, sculpteur enfin, « faire avec » presque rien parfois.

Le jeu créé. L enfant plus que tous créée.

Je réfléchis maintenant à cette enfance. Quels ont été mes premiers actes créateurs, du moins ceux dont je me souvienne et qui ont donc sans doute encore un impact sur mon activité actuelle ? Dessous la maison de village dans laquelle je vivais, il y avait une écurie abandonnée, reconvertie en cave. Dedans de nombreux fûts de vin, démantelés mais surtout des tas de robinets en bois, de toutes tailles. Je m en servais alors pour des missions précises, pour des guerres personnelles. Ce furent des armes, mes fétiches contre l autorité. Nous fîmes aussi avec ma petite soeur nos premières soupes d herbe et de terre pour notre invité, un lapin qui finit en civet dans l assiette des voisins. Puis j eus enfin la prétention, je me rappelle de ce désir conceptualisé en projet grandiose, de me construire une armurerie chevaleresque dans laquelle, à loisir, je pourrais choisir le glaive qui me permettrait de régler mes désaccords, avec mon frère peut-être, surtout avec ma professeur de maternelle, qui prenait un malin plaisir à humilier certains de mes camarades, les isolant sur des serpillières lorsqu ils avaient uriné dans leur propre vêtement.
Inspiré par un « son et lumière » auquel mes parents nous avaient amené (reconstitution historique spectaculaire faisant appel aux habitants du village) je crus bon de concevoir la première pièce de cette collection : une épée en bois. Devant le feu de cheminée, je me mets au travail, certain d entreprendre une mission toute aussi importante que les chantiers de la maison auxquelles mon père oeuvrait. Je lui demande des outils, lui parle peut-être un peu de mes projets, étaient-ils question déjà d un cheval de Troie, d un bélier pour charger contre l oppression ?

Outre la manifestation sexuelle, déjà quelque peu empruntée d un goût pour la mystique puisque je crois me souvenir avoir écrit au feutre sur la barre de protection un certain « Inri », je peux alors me demander maintenant, un peu mieux en quoi ces actes re-créatifs ont-ils à voir avec l art et pourquoi revêtent-ils si souvent un caractère formel lié à l agressivité ?

Images : Filiou, Mc Carthy, Brancusi




texte en cours

histoires de l'art / La mobilité.


La mobilité n est à priori pas le meilleur mot qui convient à l Oeuvre. L Oeuvre résulte plus souvent et surtout dans ses premières apparitions artefactuelles d une fixation plus que d un mouvement. Si elle naît d un mouvement, d un geste hasardeux, d une invocation ou d une reproduction, elle tend toujours et finalement vers la chose morte, se veut-elle éternelle, elle ne fait que défier un futur incertain pour nous autres, enfants du siècle des lumières, fils de Descartes, armés de doute et de raison. Peu importe finalement l avis de l auteur sur son Oeuvre, elle saura toujours révéler son intérêt à des périodes réceptives à son aura. Donc si l Oeuvre d ambition artistique, au sens moderne du terme (support autonome de pensée et défi critique) n était pas faite pour une mobilité dans l espace, elle pouvait cependant l être dans le temps. Les sculptures funéraires révèlent en ce sens d un caractère mobile. Tant la petite pirogue égyptienne que le cercueil-navire indien fait l objet d une attention artisanale précise et ce pour que le mort puisse traverser les eaux de sa mémoire et rejoindre ses ancêtres en toute quiétude. Mais le voyage est obscur, finalement intemporel, « inspatial ». Son bâteau peut être un vaisseau comme celui du grand seigneur et mathématicien Pacal, sculpté en bas relief, aux manettes de sa cité pyramidale ; il pourrait être tout autre car il convient d abord que le réceptacle funéraire soit un véhicule et que sa position affleure un lieu de culte.


Selon les observations de Mircéa Eliade, le temple est conçu comme une porte d entrée cosmique, il est d autant plus important alors que les ornementations ou la fabrication de ces objets et propulseurs contiennent des clés, des formules et revêtent un caractère codé, jouant un rôle d avant-garde contre les ennemis de la libération du défunt : mauvaises pensées, péchés, erreurs génétiques, chaînes d A.D.N atrophiées.

Mais cette investigation très sommaire dans l art funéraire faiblit semble-t-il à la lecture du Bardo-Thödol, le livre des morts tibétains. Même si il évoque poétiquement et concrètement le voyage du mort jusqu à sa libération à travers des étapes colorées, il n est nullement précisé que l intervention humaine d accompagnement auprès du défunt ait recours à une pratique "artificielle" (qui userait d un artifice). La participation à caractère artistique serait ici plutôt d ordre sonore et sensoriel car la fonction de l accompagnateur, qui doit déjà avoir un niveau spirituel élevé par sa pratique méditative, guide par une transmission orale et télépathique les pas du défunt vers sa destination ouverte et espérée.

Le culte mortuaire qui fait suite à ce long cheminement et qui consiste à offrir à l appétit des vautours le corps du défunt, est plus d ordre pratique et naturel, métaphorique si l on veut, pour notre propension à l imagination.

texte en cours

histoires de l'art / La participation.

A savoir quand est né l art participatif et si il est sémantiquement institutionnalisable, nous ne pourrons que bien difficilement apporter une réponse à ce sujet, mais voyons plutôt de quoi il est question. Si Paul Ardenne s empresse de citer Marcel Duchamp dans son chapitre consacré à " L art comme participation "* et d utiliser son fameux " ce sont les regardeurs qui font les tableaux", c est sans doute pour ancrer la genèse d un art participatif dans un art dit classique, cependant précise Ardenne " il y a divergence sur un point essentiel, celui de la reliance, de la nature du lien réunissant oeuvre plastique, d un côté, et spectateur, de l autre. L art participatif relève de la sollicitation, il recherche de manière ouverte et souvent spectaculaire l implication du spectateur. S il vit lui aussi de transitivité, comme l art classique, il n offre pas des objets à regarder mais des situations à composer ou avec lesquelles composer. Cela tient à la nature inachevée de l oeuvre d art participative, son achèvement plastique supposant que le spectateur y mette la dernière touche."
Ensuite Paul Ardenne se réfère à certains exemples d artistes déterminant dans ce nouveau rapport formel au récepteur, les "bichos" de Lygia Clark, l"Open house" de Gordon Matta-Clark, la "Red Bathroom" de l Atelier Van Lieshout, poursuivant ensuite sur le travail conceptuel de John Cage et sa "théorie de l inclusion dont l argument se résume pour l essentiel à cette formule: l art peut se trouver partout et peut tout envahir."

"Open-house", Gordon Matta-Clark

Après ces références et ces renvois, il est bien sûr toujours aussi difficile de cerner ce que cet art a de participatif. Nous avons cependant quelques indications essentielles que glisse ce critique et maître de conférences en histoire de l art et esthétique. Il est souvent ici question de l Autre, Mr Ardenne parlera lui d"autrisme" à ce propos, prenant appui et différence sur le mot "autisme".

Il faut dire que la notion d altérité a subi dans ce vingtième siècle de sérieux coups, autant la philosophie sartrienne ne l a pas aidé, du moins l a sérieusement inquiété par une phrase popularisée devenue choc " L enfer c est les autres " mais ce n est certes pas ce détail provocant d un courant de pensée critique qui peut résumer l oeuvre de Sartre et encore moins porter la responsabilité de la profonde blessure que l Autre va recevoir au cours du XXe siècle. Au même moment, l industrialisation de la mort fait son entrée sur l échiquier de l humanité. Les camps nazis apparaissent et l Autre devient une bête à abattre en quantité. Le prétexte sera son intelligence ou sa non conformité à un modèle social, celui du National Socialisme.

L inconscient collectif post-grec et post-latin n a pas encore su comment se sortir de cette mémoire récente où pointent les utilisations nocives et destructives de l industrie. Il a bien du mal, occupé normalement à respecter des valeurs d attention à son prochain et d entraide social, à réaliser que sa civilisation ait pu produire un tel désastre affectif et pourrait-on dire, continue-t-il à participer à des événements similaires, tel le génocide Rwandais, les camps de guerre Bosniaque, les tortures irakiennes, les systèmes de dette et de famine organisé croyant que de tout temps la violence est conséquence de la part animale chez l homme. Indiscutable en effet que l agressivité soit hormonale et plus fréquente chez la race masculine, mais il est surprenant que l on continue à croire que le fait de tuer en masse est un acte d animal prédateur. Si je continue vous penseriez sans doute que je m éloigne de mon sujet mais tout au contraire, je pense m en rapprocher car le fait même de parler de l Autre et de son déni progressif dans une société industrieuse et consumériste est une des raisons majeures qui poussent des actions radicales qu on peut qualifier de performances ou de happenings, appartenant au "monde l art contemporain", de l "anormalité" sans doute pour en éloigner l aspect subversif, "trop généreux", mais qui permettent comme le sous-bassement d un futur, de reconstruire un corps social en résistance, homogène et hétérogène à la fois.


* Un art contextuel, Paul Ardenne

texte en cours

histoires de l'art / L'auteur.

Un facteur décisif du dépassement de la notion d'auteur apparaît clairement dans la pluralité d'énergies et de savoirs que requièrent les création processuelles et numériques de notre ère. Si la notion d'auteur disparaît, si la fonction d ouverture des activités artistiques collectives ou en réseau tend à faire oublier le démiurge en tant qu'autorité patriarcale, nous pouvons gagner en disponibilité, en temps d'apprentissage et d'échanges, et reléguer le pouvoir et la reconnaissance de l'objet à d autres utilités.

Pour autant l'artiste individu ne disparaît pas. L'être y découvrant sa subjectivité, une recherche existentialiste demeure et y trouve les lieux de son épanouissement. Il n'est pas non plus annoncé la mort de l'Oeuvre, dont nous avons esquissé les anciens contours dans "la mobilité". Il s'agit de la mise à disposition d'expériences et de la circulation de concepts. Peut-être que dans cette forme plurielle se maintient la position interactive de l'Oeuvre, tel qu'elle s'est fait connaître, un art de faire, à travers la création d'outils d'auto-détermination pour reprendre les préceptes Beuysiens ou Filiouesques. Néanmoins les artistes ne répondent pas tous aux mêmes exigences spirituelles que ces deux artistes animés par la mystique, et le simple fait de s'associer ouvre déjà à certaines nécessités vitales des plus impérieuses: nutritives, affectives.

Engendrant des activités ludiques réincorporées à notre quotidien, bien plus proche que les considérations formelles de l'artiste-peintre, l'art du XXème siècle devient plus accessible alors même qu'on va le considérer comme dégénéré** ou insignifiant. Les performances et les installations qui apparaissent dès la moitié du XXe siècle, se libèrent du chassis et du pinceau,,s'emparent des sujets de la table ou du labeur, qui préoccupaient déjà Chardin, Millet ou Van Gogh, s'essayant aux outils des pratiques culinaires, sociologiques, thérapeutiques... Ces activités vont sortir du cadre, vont parfois tenter de se mélanger à la vie, tel était en tout cas l'objectif du groupe Fluxus, et ainsi s'approcher de techniques non-artistiques, tout en gardant imagination, remise en question des réalités, et souvent, goût de la provocation. Ces techniques empruntées au monde industriel, au monde social, au monde politique voient parfois s'effacer la toute puissance du créateur pour

...

Le romantisme occidental, encore prégnant malgré l'intégration sociale de l'artiste, a poursuivi son individualisme et s'est associé à merveille avec le jeu économique autour de la rareté du produit esthétique. La multiplication des stars, présupposé par les vidéos caustiques d'Andy Warhol, accentue et popularise cette possibilité de reconnaissance individuelle, d'accès à cette illusion d'amour universel qu'est le narcissisme. Dans ce monde d'images, comment ne pas confondre ce sincère désir d'exister pour quelque chose à cette chimère qu'est la représentation spectrale et démultipliée de votre image ou de votre nom ?

Que peut bien être encore l'art, issu au statut de valeur et de privilège, sans auteur défini, à une époque où la planète réalise, face à son histoire et son futur, l'impasse dans laquelle le projet humaniste s'est fourvoyé ?


« Qu'importe qui parle, quelqu'un a dit qu'importe qui parle. » *


* Samuel Beckett
** Art dégénéré / exposition sous le 3ème Reich

texte en cours

jeudi 13 novembre 2008

Pour Yves Noël Genod, un phénix à Paris.

Et quand bien même Yves Noël Genod en aurait rien à faire et n'aurait rien à espérer. Que tout tombe, mythes, textes, décors, costumes, chairs... que cela se compile à main levée, que le présent soit absolument parfait, prêt à contempler. Qu'il n'y ait donc même plus la peine d'aller au théâtre et de payer pour voir des acteurs en transe, qui se grattent, pissent et chantent, se souviennent de vers oubliés, dans la plus grande détente d'une salle climatisée. J'aurais eu cependant cette chance d'apprécier cette chute libre, ce cante jondo. L'heureux signataire en Genod. Il semblerait qu'il ne s'en rende même pas compte tant cela glisse. Beaucoup d'écoulements, de souvenirs de vagues, de nudité (il faudra y revenir) mais quelques planches aussi du coup: bodyboard avec personne âgé, canoës sans doute, en tout cas, tout ce dont on peut se servir sur place sera ok, élégant, montré, distingué. Du furoncle à la gaffe énorme de mal jouer ce soir devant d'autres gens. D'autres gens, d'autres gens... complètement complices ils le sont aussi.





Je me rappelle de plusieurs sommations de Peter Handke dans son "Outrage au public" pendant lequel son auteur assènait les lois d'un contrat inconscient qui nouerait le public et l'auteur. Ce qui m'avait fortement évoquer les règles mises en places par les héros d'un autre testeur de fermes relations contractuelles en la qualité de Sacher-Masoch. Et bien, je crois que ni l'un ni l'autre n'ont à voir avec cet autre marionnettiste qu'est Yves Noel Genod...
Peu de gens iront voir ces spectacles par hasard. La curiosité, les "on-dit" d'une expérience à chaque fois unique les entraîneront à s'asseoir parmi d'autres excités et d'autres habitués. Lui raconte que ce sont des pièces de répertoire, qu'elles sont toutes rejouables. Il a raison peut-être mais quel travail faudra-t-il pour retrouver ce qui fait l'extrême saveur de cette récolte spontanée. C'est une histoire dangereuse de pureté et d'innocence, c'est pour ça qu'il se déguise en Harry Potter ou en phénix à Paris. Est-ce le contraire de Peter Brook qui disait éviter à tout prix la pureté ou parlent-ils tout les deux de la même chose ? ... de la tentative du premier geste, du premier dessin. Serait-ce le sujet brûlant, le seul sujet qui vaille en art et en philosophie, celui de Faust ou de la folie, celui que Pasolini dénommait réalité, celui que Borges appelait illusion ?

Yves Noël Genod se donne entièrement à ce jeu : http://ledispariteur.blogspot.com/. Je crois croire en cette bonté utile, remplie à ras bord de notre aujourd'hui. J'espère en ce désintérêt comme d'un entraînement à mourir vivant. C'est beaucoup je sais mais ces acteurs semblent prouver ce plaisir si particulier : être au service d'eux-même, non pas d'un auteur ou de leur metteur en scène. Peut-être qu'ils lui rendent sa confiance et que cela se sent partout dans la salle, peut-être sont-ils un peu plus eux enfin, entre eux, ces hommes qui brûlent. Et par ce truchement du jeu, ils deviennent aussi de bons comédiens. C'est à dire qu'ils ne nous font pas croire à autre chose qu'eux. Si par hasard ils en viennent à interpréter un personnage ou à se laisser pénétrer par un texte choisi, par une idée soudaine, ils créent cet accord tacite, ce contrat secret : nous sommes des enfants, nous vous jouons la comédie et vous aimez y croire. Mais regardez bien aussi, nous sommes des hommes dans cet espace et nous vous offrons ce moment de délivrance, de pathos nécessaire à votre voyeurisme. Yves Noël Genod assume entièrement cette nouvelle donne de la scène, il en est même l'un des plus fervents protagonistes, passionné de chair et de poésie, niant haute et basse couture, il mêle inextricablement le réel et l'artifice pour notre plus petite et notre plus grande jouissance.

Sylvain Pack


jeudi 30 octobre 2008

Contre Jérôme Bel, premier de la classe.


Cette réaction arrive un peu en retard. Moins colérique sans doute mais avec cette drôle d'impression de m'être fait berné.

Jérôme Bel se dit un chorégraphe de la pensée. On l'a donc bien vite identifié en guide de la "non-danse". Je fais fi de cette appellation, d'autant que je découvre, dans la radicalité de sa pièce éponyme, visionnée au centre Georges Pompidou, une poésie hors-norme, ludique et implacable. Je me souviens d'autres extraits extrêmement cyniques et violents de son "The show must go on", vu sur Youtube, et son créateur devient à mon esprit l'objet de réflexions et de grande curiosité.




Jérôme Bel semble être aujourd'hui la figure de proue d'un nouveau langage chorégraphique. Ces spectacles sont demandés à l'international et ces recherches font l'objet de nombreux interviews, de nombreux commentaires. A cause de sa réputation il s'agit donc d'un artiste de la danse qui rayonne et attire à lui programmateurs, politiques et membres influents de la culture. Un artiste de la danse... ? Le problème est d'emblée posé. Jérôme Bel dit au début qu'il veut faire de la danse et qu'il n'y arrive pas. Il y a fort à penser que cela soit une posture au regard de la démarche artistique qu'il met en place. Jérôme Bel pense donc la danse, il aime en voir, il se dit un "fan" de Anne Theresa de Keersmaeker. Aussi il fréquente les galeries, les musées d'art contemporain et lit, Roland Barthes, notamment, "Le degré zéro de l'écriture" dont il s'est beaucoup servi pour le début de ses recherches scéniques.

Je ne prétendrai pas à un article très fouillé sur la personne de Jérôme Bel mais plutôt sur le sentiment étrange qui s'est formé sur son travail à partir de différents visionnages, d'interviews et récemment de manière plus évidente sur le site suivant :

Comme vous pouvez l'entendre dans ces conférences filmées, Jérôme Bel lit d'autres auteurs, ceux qui sont maintenant au programme des université et des écoles d'art. Libres penseurs engagés dans l'utopie sociale pour certains, dans le partage de leurs connaissances et de leurs doutes pour d'autres... Libre penseurs, instruits et créatifs qui ont tenté l'analyse encyclopédique des pires rouages que les hommes aient instauré au détriment de leur liberté, de leur évolution sociale et spirituelle. Libre penseurs humbles et inspirés qui ont permis de prévenir cette biopolitique en marche et de lui proposer en échange des outils de lutte et d'émancipation, plateaux en mouvement, machines pensantes...
Plus que tout semble-t-il, Jérôme Bel aurait adoré Marcel Duchamp.
Marcel Duchamp, pierre angulaire de l'art depuis le XX e siècle, sculpteur, ésotéricien, joueur d'échecs, farceur de toute évidence. Marcel Duchamp dit de lui qu'il aurait tendu un piège à l'histoire de l'art et qu'on l'aurait pris très au sérieux. A apprécier les productions contemporaines, ça ne fait nul doute que son influence ait changé et ouvert toutes les pratiques.

Je me demande si ce n'est pas là que Jérôme Bel notre révolutionnaire du spectacle en France, ne devient pas un peu pompier. Il ne s'en cache pas puisqu'entre autres, il se lie au critique d'art Nicolas Bourriaud louant, dans son petit ouvrage "Remix", l'évidente nécessité d'utiliser et de métisser des pratiques déjà existantes, des choses toutes faites... Marcel Duchamp avec les ready-made (déjà-fait), en est aussi quelque part l'apôtre ! Pourquoi ne pas fêter cette libération en prenant soin de soigner son vocabulaire et ses références à grand recours d'exemples de marque. Jérôme Bel va pouvoir s'appliquer et suivre à la lettre de nombreux programmes tout tracés mais il le fera consciencieusement, méthodiquement et comme le souligne scolairement son site du Catalogue raisonné, raisonnablement. C'est là que moi, le spectateur, je me fais bluffé. Je vis une aventure presque mécanique, issue de la raison qui, certes, nous a permis de lutter contre les croyances aveugles (et encore quelle vieille rengaine!) , mais je vis cette aventure dans l'affadissement de son concept, dans l'épuisement de son cynisme, au bout du règne des mots, dans la distance de l'esprit, "avec nos amis nous nous comprenons"... Pourquoi bouder son plaisir me diriez-vous ? Il n'en est rien. Je regarderai ces spectacles et pourrais sans doute encore en apprécier les effets tragi-comiques et intellectuels mais j'y verrai clairement la fausse pudeur, le froid et constant calcul de son auteur.

Sylvain Pack