mercredi 16 mars 2011

Prémices d'un art humain

Cette tentative d’analyser et de deviner un nouveau courant  artistique est rédigé au bord du précipice. Métaphore relative à des acceptions du temps très différentes : accélération technologique pour certains, histoire de l’humanité pour d’autres. C’est pourtant dans ce trouble interstice qui nous sépare d’une désagrégation de la planète que je choisis d’imaginer les prémices d’un "art humanitaire". Ce terme prête à confusion. On devrait en trouver un autre mais il revêt, en attendant, ce caractère d’urgence, ce rappel au réel de la crise humaine et écologique que connaissent la terre et ses occupants. 
Ses manifestations d'une voie nouvelle évitent la classification des médiums, privilégient la nécessité, l’utilité, la réaction. Même si elles sont issues de pratiques identifiées (beaux arts, littérature, danse ou théâtre…), elles s’en servent à des fins efficientes. Aucun art qui pourrait s’apparenter à ces effets n’en est exclu. Aucun moment de contemplation n’est considéré comme inutile, aucune neutralité n’est suspecte de lâcheté, aucune conceptualisation ne pourra être assimilée à un égoïsme élitaire. Toute façon, tout procédé est le bienvenu.

Les définitions de l’art pour l’art auxquels se sont adonnés de nombreux théoriciens et artistes ont été défendues de haute lutte. Procès, assassinats, censures ont été les prix à payer pour l’indépendance et la liberté des paroles d’artistes. Il n’est pas question pour un art nouvellement utile d’être pris au piège par ses opposants, ses manipulateurs ou plus récemment par ses spéculateurs et de mettre ainsi à sac, tout ce processus d’autonomie de l’œuvre d’art. En revanche pas de doute sur le résultat et son impact. S'il la pièce achevée est trans-genre, elle expérimente le réel, elle se faufile, épouse les codes du marché, s'infiltre, se camoufle, piège sa production pour arriver à ses fins. Et son but est précis, pour une modification d'un réel sociétal et environnemental, attaquant scandaleusement les idées qu'on s'en fait (qui nous enchaînent à son avenir), proposant en échange, offrant en perspective : don, inclusion, empathie, attention... 

On pourrait se dire qu'il s'agit là du propre des oeuvres d'art. Prêter des émotions, provoquer un instant, se décaler, se détacher, ouvrir sa perception, réveiller l'inconnu. Toute production invite un autre temps, découvre un nouveau ciel. C'est pour l'homme, comme sa respiration, indispensable de respecter sa nature créative et d'en extraire une habilité afin qu'il évacue son énergie et trouve une place parmi les siens. Oui, peut-être, mais pour cet art typiquement humain, il s'agit justement de cela: être au service d'une cause qui dépasse son créateur. Un acte venu sans doute d'un impératif créatif (lyrique, thérapeutique, communicant...) mais qui concerne éminemment le corps groupal, l'autre, la planète, le rhizome, le foyer biologique et les moyens, si ce n'est de s'y épanouir, de nous y intégrer. 


Peu importe la rupture ou la discontinuité à revendiquer dans l'histoire de l'art, ce mouvement de préoccupations et de consciences n'est pas soucieux de prévaloir ses motifs de rejet de l'ancienne garde. XIXème et XXème siècle se sont construits ainsi en briques, chacune voulant faire tomber l'autre, alors qu'il s'agissait d'un simple "tetris", d'un maillage si plane que Deleuze et Guattari ont parlé de plateaux. Le mur aboli, comme les tomettes en métal de Carl André, suspendus dans l'espace. Nous, aujourd'hui, faisant des lectures individuelles et collectives, jeux maintes fois vus et revus autant dans les écoles d'art que dans les universités : mentionner ses influences dans des petits cercles et les relier entre eux. N'y-a-t-il pas là la nécessité impérieuse de créer un sens à ces rapprochements ? Sens formel, sens conceptuel, sens politique ?

Je m'étonne d'arriver à ce point polémique du sens en art, débat souvent considéré comme douteux, voire réactionnaire. Motivant à la fois puisque il semble qu'une réalité artistique de ce début de siècle puisse aussi être interprétée comme une progressive et passionnante quête de non-sens (prochain article dont acte !).

Sylvain Pack.

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