samedi 3 avril 2010

Contre Lucy et Jorge Orta, les arroseurs arrosés.

Lucy Jorge Orta
Evitablement, de nombreux artistes, vivant du marché de l'art et des entreprises qui y prospèrent, se font corrompre par la systématisation et l'abondance de leur production. Lucy et Jorge Orta sont de ceux-là. Artistes engagés dans le discours lénifiant des crises à venir et présentes (migrations, pénurie d'eau, souffrances vertes et bleues...) ils ne se veulent qu'actions, moteurs de réflexion et révolutions pacifiques. Pour cela, ils développent différentes actions collectives, tel l'accueil fictif de citoyens du monde munis de leur passeport universel en face d'une plage athénienne ayant reçu plusieurs embarcations clandestines durant ces dernières années. Lucy et Jorge Orta vous tamponnent votre passeport et vous pouvez vous installer manger à cette table soit disant "universelle" mais composée majoritairement d'un public de Biennale. Lucy et Jorge Orta gaffent même en précisant que cela serait catastrophique pour leur pièce qu'un navire clandestin débarque vraiment. Allez n'en jetez plus, Lucy et Jorge Orta sont des arroseurs arrosés !

Lucy Jorge Orta
Leur vocabulaire plastique est alors à l'image simpliste de cet engagement moraliste et institutionnalisé. Croix rouge, gourde percées, bouées de sauvetages, écritures... et bien sûr l'appareillage suranné de l'esthétique muséale contemporaine issu de l'arte-povera et dans leur cas semble-t-il de BMPT (Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier, Niele Toroni) aussi bien sûr la voiture, la camionnette et l'éternel tente igloo. Comment est-il encore possible de croire et de prendre au sérieux ce type de gestes qui ne peut cacher son aspect mercantile derrière un tel langage conceptuelo-illustratif ? Le couple Orta se défend évidemment de devoir vendre des pièces "sculpturales" pour en faire d'autres plus "sociales".

Ce piège dans lequel est pris le couple Orta est emblématique en fait d'une question beaucoup plus large qui devrait trouver au XXIème siècle des échos et des réponses surprenantes. Romantisme, symbolisme, impressionnisme, expressionnisme, cubisme, dadaïsme, situationnisme, chacun de ses mouvements a tenté à sa façon de s'échapper de son milieu. Cassant des codes à sa mesure, transgressant les médiums, intellectualisant sa recherche, il y a clairement un lien entre eux et nous, une révolte, un refus ou une dénonciation. Le fait que le 19ème et le 20ème siècle soient en constante destruction et révolution de son langage plastique est significatif d'une accélération du temps devenu centrale pour les hommes. La figure de l'artiste en évadé peut nous faire entendre une volonté consciente ou inconsciente de ne pas se faire enfermé par celui-ci. Miroir d'un monde qui se réduit, qui chiffre tout rapport et pondère inexorablement notre histoire d'étapes, de tendances. Que les artistes peintres et plasticiens en épousent ou en détournent les formes, tous ont eu, et ont maintenant à se soucier de la manière dont l'histoire et le pouvoir se saisissent de leur production.

Robert Filiou
La question de la récupération et de l'utilisation de l'art devient caractéristique à la relecture des artistes qui tentent une percée de l'art inédite dans le monde du réel : Marcel Duchamp, Robert Filiou, Georges Maciunas, John Cage, Vito Acconci... En effet l'effacement de l'artisanat, du support ou de la signature pour un réel expérimentable peut apparaître comme une tactique d'évitement ou de mort clinique des oeuvres en musée. Concepts, plans ou partitions sont des formes qui défient la sacralisation de l'art et la consommation culturelle. Si ces artistes s'y sont essayé, était-ce si innocent ?

Pour Lucy et Jorge Orta, comme pour beaucoup d'artistes contemporains, toutes les esthétiques développées par le XXème siècle sont un grand sac où il est bon de se servir tant qu'il s'agit de se faire identifier et de faire passer son message. Un einième geste publicitaire dont on pourrait se demander si les penseurs de fond ne sont pas les commanditaires. Mettre en spectacle sa révolte écolo-humaniste est typiquement ce qui conforte et habille de bonne conscience les structures culturelles, le ministère de l'environnement, de l'éducation voire de l'immigration...

Sylvain Pack