mardi 6 mars 2012

Pour Mathilde Monfreux, Elizabeth Saint-Jalmes, leurs poumons, leurs intestins.

Mathilde Monfreux prend le parti de mettre son corps en état de métamorphose, quitte à le mélanger au public qui vient lui rendre visite. Après le long périple de son Projet Cochon dans lequel elle explorait sa relation avec l'ingestion de l'animal et ses influences consenties, Mathilde Monfreux va plus loin et se sépare lentement de la voie générale. Être soi-même l'objet de son appétit,  se servir de soupe humaine comme terrain de langage et de mouvements, voilà ce que bien souvent les artistes tentent d'éviter, par survie, par bon sens, pour ne pas avoir à se blesser ou à tout remettre en question. La catastrophe ou le courage n'est plus loin quand le postulat créatif réduit l'homme à son appareil digestif. Tube la dernière performance de Mathilde Monfreux, pensée conjointement et plastiquement avec l'artiste contemporain Elizabeth Saint-Jalmes, affirme d'emblée cette condition primitive, au risque de déplaire.

Ni putes, ni soumises, femmes exquises, gentlewomen de la crotte et de l'urine, lorsque ces deux dames collaborent, nulle censure à l'expression de ces traversées, de ces rendements. Si la sexualité n'est jamais éloigné de cette poétique en marche, c'est que formellement, l'anus est voisin du vagin. Alors expulsions, pénétrations, ingestions constituent les mouvements propres de ce discours sensible, où il est beaucoup plus question d'acceptations biologiques que de plaintes expressionnistes. Dans un commun refus d'asservissement biopolitique, les deux dames fabriquent des danses, des objets les plus dingues et les plus fidèles à leur quête de transmission. Si je les ai bien compris, il n'y a pas de raison de distinguer les médiums utilisés, on parle de tout à fait autre chose et on insiste en ce sens. La danse-contact, la sculpture, le design, le dessin, le poème sont à confondre pour un but précis : "remettre les pendules à l'heure". Le nourrisson se déploie à partir de son tube digestif. L'adulte en a-t-il encore conscience ? Sait-il que ses organes de prédation naturelle lui dictent nombreuses pensées et attitudes "artificielles"? Il y a sans doute peu de meilleurs témoins que les artistes du vivant pour témoigner de cette réalité. Le poète et théoricien de théâtre Antonin Artaud en avait payé de sa santé et de son statut social. Oui, ce n'est pas sujet lisse, quoique... Disons qu'il ne s'agit pas d'un plateau stable, tout est modification, impermanence, transfert, entropie, rien n'est sûr et consignable. La poésie prend le lied dans cette nouvelle étape. Elle est un cheval sans selle. Nous croisons ses chimères, devenir-animal, devenir-machine, le temps s'abroge pour faire place à des sensations fantastiques. Les néons sonores et fragmentées de Guillaume Pons exacerbent nos perceptions individuelles.  L'outil géant et mou d'Elizabeth Saint-Jalmes pend dans un espace renouvelé, ouvert à nos mémoires. Les partitions glossolaliques et ultra-changeantes de Mathilde Monfreux nous meuvent, frayent en nous une ode régénérante, affutée comme une lance invisible, comme un larsen.


Sylvain Pack.