jeudi 30 octobre 2008

Contre Jérôme Bel, premier de la classe.


Cette réaction arrive un peu en retard. Moins colérique sans doute mais avec cette drôle d'impression de m'être fait berné.

Jérôme Bel se dit un chorégraphe de la pensée. On l'a donc bien vite identifié en guide de la "non-danse". Je fais fi de cette appellation, d'autant que je découvre, dans la radicalité de sa pièce éponyme, visionnée au centre Georges Pompidou, une poésie hors-norme, ludique et implacable. Je me souviens d'autres extraits extrêmement cyniques et violents de son "The show must go on", vu sur Youtube, et son créateur devient à mon esprit l'objet de réflexions et de grande curiosité.




Jérôme Bel semble être aujourd'hui la figure de proue d'un nouveau langage chorégraphique. Ces spectacles sont demandés à l'international et ces recherches font l'objet de nombreux interviews, de nombreux commentaires. A cause de sa réputation il s'agit donc d'un artiste de la danse qui rayonne et attire à lui programmateurs, politiques et membres influents de la culture. Un artiste de la danse... ? Le problème est d'emblée posé. Jérôme Bel dit au début qu'il veut faire de la danse et qu'il n'y arrive pas. Il y a fort à penser que cela soit une posture au regard de la démarche artistique qu'il met en place. Jérôme Bel pense donc la danse, il aime en voir, il se dit un "fan" de Anne Theresa de Keersmaeker. Aussi il fréquente les galeries, les musées d'art contemporain et lit, Roland Barthes, notamment, "Le degré zéro de l'écriture" dont il s'est beaucoup servi pour le début de ses recherches scéniques.

Je ne prétendrai pas à un article très fouillé sur la personne de Jérôme Bel mais plutôt sur le sentiment étrange qui s'est formé sur son travail à partir de différents visionnages, d'interviews et récemment de manière plus évidente sur le site suivant :

Comme vous pouvez l'entendre dans ces conférences filmées, Jérôme Bel lit d'autres auteurs, ceux qui sont maintenant au programme des université et des écoles d'art. Libres penseurs engagés dans l'utopie sociale pour certains, dans le partage de leurs connaissances et de leurs doutes pour d'autres... Libre penseurs, instruits et créatifs qui ont tenté l'analyse encyclopédique des pires rouages que les hommes aient instauré au détriment de leur liberté, de leur évolution sociale et spirituelle. Libre penseurs humbles et inspirés qui ont permis de prévenir cette biopolitique en marche et de lui proposer en échange des outils de lutte et d'émancipation, plateaux en mouvement, machines pensantes...
Plus que tout semble-t-il, Jérôme Bel aurait adoré Marcel Duchamp.
Marcel Duchamp, pierre angulaire de l'art depuis le XX e siècle, sculpteur, ésotéricien, joueur d'échecs, farceur de toute évidence. Marcel Duchamp dit de lui qu'il aurait tendu un piège à l'histoire de l'art et qu'on l'aurait pris très au sérieux. A apprécier les productions contemporaines, ça ne fait nul doute que son influence ait changé et ouvert toutes les pratiques.

Je me demande si ce n'est pas là que Jérôme Bel notre révolutionnaire du spectacle en France, ne devient pas un peu pompier. Il ne s'en cache pas puisqu'entre autres, il se lie au critique d'art Nicolas Bourriaud louant, dans son petit ouvrage "Remix", l'évidente nécessité d'utiliser et de métisser des pratiques déjà existantes, des choses toutes faites... Marcel Duchamp avec les ready-made (déjà-fait), en est aussi quelque part l'apôtre ! Pourquoi ne pas fêter cette libération en prenant soin de soigner son vocabulaire et ses références à grand recours d'exemples de marque. Jérôme Bel va pouvoir s'appliquer et suivre à la lettre de nombreux programmes tout tracés mais il le fera consciencieusement, méthodiquement et comme le souligne scolairement son site du Catalogue raisonné, raisonnablement. C'est là que moi, le spectateur, je me fais bluffé. Je vis une aventure presque mécanique, issue de la raison qui, certes, nous a permis de lutter contre les croyances aveugles (et encore quelle vieille rengaine!) , mais je vis cette aventure dans l'affadissement de son concept, dans l'épuisement de son cynisme, au bout du règne des mots, dans la distance de l'esprit, "avec nos amis nous nous comprenons"... Pourquoi bouder son plaisir me diriez-vous ? Il n'en est rien. Je regarderai ces spectacles et pourrais sans doute encore en apprécier les effets tragi-comiques et intellectuels mais j'y verrai clairement la fausse pudeur, le froid et constant calcul de son auteur.

Sylvain Pack

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