jeudi 20 novembre 2008

Pour en finir avec le jugement de dieu.

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Novembre 1947, Antonin Artaud en finit avec le jugement de Dieu dans une radiodiffusion qui sera aussitôt interdite d'antenne. C'est aujourd'hui un document sonore irradiant toutes les oreilles qui s'en sont approchées. Influençant ce qui s'appellera la poésie sonore, la beat génération, la performance, le théâtre contemporain en général, son oeuvre se trouve ici incarnée dans une heure et demi de vision extra-lucide qu'il est encore difficile de s'approprier. Je la réécoute souvent. Il m'est arrivé à l'occasion d'en rire, et d'en pleurer, peut-être aux mêmes endroits.



J'essaie de vous dire ce que je comprends. Pour cela, j'écoute l'être cocasse, plein de douleurs conquises, qui hisse la voix hors du masque et projette la parole dans un espace intemporel. Ce que j'entends, surtout vers la fin, c'est que l'esprit vital, l'énergie immanente à la nature était considérée, sans préjugé aucun, par les Taharumaras comme ce qui est Dieu. C'est à dire que la force reproductrice de l'être était Dieu lui-même.
Mais depuis que les civilisations modernes ont envahi la planète, cette notion divine a reçu le choc physique le plus radical qui soit. Partant du fait divers fort probable de manipulations génétiques réalisées aux Etats-Unis, dans le but d'accroître l'armée américaine et d'employer toujours plus de soldats, Antonin Artaud constate l'intervention humaine à l'endroit de sa reproduction. Sa possibilité de corrompre ce qui lui était supérieur. L'homme se penche sur son anatomie, compile les chromosomes, sélectionne les spermatozoïdes, choisit les ovules et opère à vue de nez Dieu, devenu ce microbe. Je ne peux cependant vous certifier mon interprétation, je me souviens un jour avoir mieux compris. Antonin Artaud poursuit avec une théorie déjà existante, que l'on retrouve au hasard de nombreuses sectes, inspirées pour certaines directement d'un christianisme primitif.
La nécessité ou la probabilité de l'émasculation future du mâle humain.
Il y a quelque chose entre les jambes de l'homme qui le démange, qui lui enlève la possibilité d'être lui-même. Il y a aussi d'autres organes, tel que l'estomac, l'un de ceux qui, chez Antonin Artaud, a connu le plus d'ascèse et de manquement. La faim et l'instinct de reproduction enlève de l'homme à l'homme. L'homme obéit à Dieu et devine de temps à autre qu'il pourrait y échapper. Certaines interprétations mystiques annonceraient le christ, celui qui est décrit dans les évangiles synoptiques, comme le prophète de la cessation de la reproduction humaine. L'épanouissement de l'espèce humaine dans sa propre fin et son retour au paradis perdu. Toutes les femmes et tous les hommes arriveraient à la radicalité philosophique du suicide collectif. Sans pour autant programmer leur mort, ils décideraient tous d'un commun sentiment qu'il n'y a plus lieu de continuer cette espèce et qu'elle peut sagement, comme des milliards de socrates, se dire adieu.
On trouve aujourd'hui des réalités parallèles tel que l'accroissement de la stérilité masculine la chute de production spermique et d'autres annonces eugéniques qui semblent concorder aux pressentiments d'Antonin Artaud. La cryonie, la thanatopraxie sont autant de rêves d'immortalité portés au regard du grand public... L'option neurologique, la préservation du cerveau dans l'attente d'une résurrection future, jouirait-elle de la colère ou de la pitié de notre disparu et "jamais oublié"?

Dieu se voit lui-même. Immanent. Inconnu. Il a aussi été créé par l'homme, à son image. Dieu anthropomorphe qui génère une éternelle colère, qui le punit ou le comble. Dieu mort, à l'image de l'homme encore, décédé. Transcendance passée. Légende désuète. Consolation des miséreux. Guerre des dieux, guerre des hommes. Dieu d'amour, brasier de corps, pullulence d'esprits. Dieu alter, hors de l'égo, dieu double, âme des forêts. Dieux païens, dieux des sables. Dieu femme. Dieu panique, dieu diable. Je me souviens que je le remerciais. J'avais décidé de ne garder que ça. J'avais honte de lui demander des choses et j'avais l'impression qu'il me les accordait. Je m'adressais à lui sous formes d'offrandes et de pensées. Il me reste ce souvenir et de l'autre côté Artaud le Mômô, supplicié par sa lutte organique, Arthur Rimbaud titubant dans le désert de Djibouti.





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Antonin Artaud prend au piège le dieu des tyrans.

Antonin Artaud a lu Arthur Rimbaud, et a su craindre comme lui "les blafards dimanches de décembre, où, pommadé, sur un guéridon d'acajou, il lisait une Bible à la tranche vert-chou". Dedans, comme lui, outre le formidable réceptacle d'histoires équivoques, il a bien dû se demander ce que cacher le plus naïf des contes cosmogoniques que sont Adam et Eve. Alors au lieu de nous en parler directement, de nous rabâcher une einième glose, il a préfèré s'en dégager, sans même lui porter un regard, un commentaire... Preuve sans doute qu'il en connaissait parfaitement les fondements kabbalistiques et les détournements religieux.

Dans cette attaque, cette "dénonciation", il évite les maladresses de Freud ou de Nietzsche qui sont, avant lui, les plus armés en la matière et les plus grands terroristes du système chrétien. Là où Nietzsche et Freud regardent froidement leurs adversaires dans les yeux, en démontant laborieusement ou furieusement les fondamentaux (Freud allant jusqu'à se mesurer en tête à tête avec le Moïse de Michel Ange, trouvant sans doute en lui un alter-ego), Antonin Artaud va droit devant et espère avec nous: il mange "le peyolt à même le sol" dans la terre des Taharumaras, il soigne ses nerfs, son coeur* de prophète athée, de chrétien syphilitique et se jette hors de la géhenne.
Ni Eve, ni Lilith, ni Anaïs, ni même Morgane à condamner. Aucune femme, aucun homme n'a pêché. Notre corps, notre esprit se fragmente, se partage et se reproduit. Oui un corps sans organe peut être établi mais à la condition que plus aucune Eve, aucun Adam nous soit encore raconté. Oui, car par qui était-ce vraiment utilisé ? Qui est vraiment corrompu, l'homme dans sa propre énergie vitale et sexuelle ou l'homme qui convoite celle d'autrui ? A qui vraiment a profité ce conte du péché originel ?

Il en fallait des penseurs nocifs pour préméditer et organiser le contrôle de l'espèce humaine sous sa forme première, énergétique et sexuelle. Car il suffisait alors d'un peu d'études chez nos pairs indiens et de beaucoup d'ambition pour comprendre que brider l'orgone des humains, à savoir mettre le poids de la faute sur l'épanouissement sexuel et particulièrement sur l'orgasme, c'était organiser le monde par classe : sélectionner par le mariage, privilégier les jouisseurs, bannir les anormaux, faire peur, traumatiser l'enfance et maintenir la pauvreté du peuple. Voilà certainement un programme tout à fait réfléchi et pensé par des êtres subtils et cultivés. Si vous doutez de ce raisonnement, je vous suggère de développer en chapitre personnel chacune des propositions de ce programme au regard de la manipulation sexuelle et vous verrez que nous nous retrouverons pas à pas sur le même plaidoyer qu'Antonin Artaud, traquant les influences néfastes à l'union du corps et de l'esprit, oeuvrant à l'ivresse, à la métamorphose et à la justice de l'espèce.

Sylvain Pack.

* Le peyolt est avérée une des médecines sacrées amérindiennes les plus puissantes, notamment pour les problèmes cardiaques et les douleurs articulaires...

2 commentaires:

  1. Le Meilleur des Mondes, de Aldous Huxley (1932).

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  2. Je vais voir ça de plus près syntone et ce que vous écrivez aussi par ailleurs... Sylvain Pack

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