mercredi 19 novembre 2008

histoires de l'art / La représentation.



On entend encore couramment qualifier la maestria d'un peintre à sa capacité à égaler le regard, à reproduire sa vision. Toutefois on sait dorénavant et ce, depuis Vasari que « la peinture est une fenêtre sur le monde », c'est à dire un cadre ordonnancé par le nombre d'or, et donc que cette reproduction du réel est un éternel "non-finito", délimité par quatre angles. Si le magicien qu 'est l'artisan fresquiste à l'ère romane ou l'artiste ingénieur de la Renaissance s'essayait souvent à sortir de ce cadre métaphorique par de grandioses représentations cosmo-religieuses, il se pensait aussi l'humble copiste d'un univers orchestré par des forces incontrôlables et supérieures à son défi démiurgique.

Le pouvoir de ces images opéré sur les masses était grand et les autorités politiques en savaient quelque chose puisque la plupart de ces oeuvres se trouvent encore et principalement dans des lieux de culte, des palais royaux puis un peu plus tard dans des maisons d'état. Finalement le public avait l'accès rare à ces visions globalisantes, devenant parfois l'occasion de pèlerinages ou de cultes populaires thaumaturgiques.

Mais qui est ce public qui croit voir des revenants et des sorts invoqués derrière des agencements de couleur ou même des larmes de sang s'écoulant de sculpture ?
Est ce celui qui réclame l'art que lui cachent les seigneurs dans leur château et qu'il occulte en sublimant les effets de ce mépris ?
Ou se pourrait être déjà ce public créateur qui reçoit, écoute et dépasse l'oeuvre en la faisant sienne ?
Les deux propositions sont envisageables. Il est probable que la deuxième ait fort à faire avec l'indépendance future de la pratique picturale car si l'histoire de la peinture va peu à peu engendrer de sublimes solitaires, on y verra aussi de plus en plus de sujets "vulgaires".

Le Caravage produit soudainement et d'une façon fulgurante une révolution conceptuelle peu après l'organisation quasiment patriarcale de la figuration en Italie. Homme à la biographie obscure et violente, il se détache autant de l'empreinte renaissante de la peinture que de la représentation cosmogonique de ses contemporains. De par la taille de ses productions et de leur mise en scène, il va considérablement participer à rendre à ceux peut-être qui le méritent le plus, comme ses jeunes amants, le résultat de ces longs moments d'observation et de transformation de la matière. L'aspect fragmenté de son oeuvre en appelle à plus d'intimité, comme à des réminiscences, à des instants de nostalgie pure. Un jeune homme sur un fond beige non déterminé, la chemise ouverte, la tête en avant, les lèvres molles, saisi sans doute dans un instant de désir retenu, offre, et dans son regard lascif et dans la gerbe qu'il porte, les fruits amères d un amour fugace, déjà atteints par les empreintes malades de leur finitude, branches brisées, feuilles brunes.


Jeune homme portant une corbeille de fruits, 1593


L'oeuvre du Caravage est alors vite achetée et protégée par les puissances économiques de l'époque comme la famille Borghese mais son réel impact se répercute d'abord chez ses fidèles successeurs appelés simplement Caravagistes puis aussi et surtout chez les défenseurs d'un authentique témoignage du vivant. Il y a dans ce fameux choix du clair-obscur comme un rapt, une appropriation d'un temps sec, déjà photographique car il devient spectaculaire en focalisant l'attention sur une action, un détail crû, les pieds verdâtres de la vierge au tombeau, une misère subtile, la main de la diseuse de bonne aventure qui vole une bague à son client. Cet intérêt prononcé pour l'être spécial, pour la chose commune dévoilée, va créer de la modernité dans l'histoire de l'image occidentale, va par exemple permettre à Rembrandt de se retrouver si souvent devant un miroir et de se représenter avec un regard défiant sa propre objectivité et soumettant la nôtre à plus d'acuité, de critique, peut-être même de méfiance.
(...)



Autoportrait, 1628


Poursuivons donc en explorant les possibles de cette infra-histoire par l'intrusion récente de l'image photographique qui sera elle-même bien vite suivi par sa corollaire en mouvement, la pellicule. Comment donc les artistes peintres assignés à un rôle visionnaire ou journalistique, arpentant les chemins d un réalisme engagé comme Gustave Courbet et poursuivant un témoignage hypothétiquement universel de l'oeil, ont-ils pu se sentir exclu de cette mission et quelle conséquence radicale a eu ce procédé technique sur leur manière de produire des images ?

texte en cours

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