mardi 25 novembre 2008

Pour Giorgio Agamben, pour un monde plus ouvert.

Je vais essayer de vous partager certains outils de pensées qui m'ont été légué par une lecture dilettante et passionnée de l'oeuvre en cours de Giorgio Agamben. Il ne s'agira en rien de nouvelles idées mais plus d'appropriations et d'entendement personnel. Je tiens au fait de ne pas me référer directement au texte afin de vous suggérer l'impact et la force de ce travail de pensée. Ce n'est pas une contradiction. Vous verrez j'espère que la persistance de ma mémoire à l'égard de ces livres et sa façon d'en digérer les noeuds conceptuelles est plus une preuve de régénération.



Très sensible à la manière dont Giorgio Agamben glane puis dissèque ces objets avant d'en actualiser le contenu à travers plusieurs époques, je vais laisser aller mon esprit à sa première pierre agambienne. Néoténique, rose, bleu parfois presque transparent, je suis cet être humain, non-fini. Non-fini parce qu'humain. A la différence de l'animal ou du végétal qui, eux, sont parfaitement adaptés à leur environnement. Jakob von Uexküll, Martin Heidegger, Gilles Deleuze, Georges Bataille participent chacun, avec leur connaissance propre*, à réouvrir, à la compréhension de nos contemporains, ce rapport à l'animalité et donc à ce qui fait notre humanité. Pas notre humanisme, expérience intéressante et discutable, pas l'histoire de notre humanité, pas son futur mais son rapport à ce qui fait de nous des humains. Par une comparaison toute scientifique, nous observons que notre corps révèle des symptômes d'un être inaccompli à plus d'un titre. Sa biologie fraîche et glabre évoque à Giorgio Agamben une sorte de lézard, à qui il manque quelques évènements pour devenir une salamandre épanouie dans son milieu. Un animal qui saurait ce qu'il a à faire, qui vivrait, comme Georges Bataille semblait y rêver, "notre" paradis perdu ou peut-être ce à quoi nous tendons, de tout coeur...
Notre réflexion est la victime de cette différence. Notre intelligence, la conséquence de cette frustration, de ce retard. Ma pensée est foetale, mon corps le prouve. Je suis l'enfant humain qui se voit et se réfléchit. L'épanouissement de mon humanité est contenu dans l'éternité de mon enfance.



Créatures de mondes fantastiques, d'enfers mythologiques, soient-elles nymphes ou harpies, vous n'êtes qu'images ! Vous êtes cela encore aujourd'hui, encore et plus que jamais autour de nous, multipliées, excessivement animées. On vous racontait autrefois là où l'on se méfiait de la nuit autant que des contre-jours. L'histoire du mot Image semble même provenir de vous-même, Créatures. Ainsi, anciens émissaires et malignes marionnettes sans âme, sensuelles et débauchées, heureusement, vous nous avez toujours trompé. Vous nous avez détourné des dieux pour ne pas en être égaré, vous nous détournez toujours d'un autre réel... Orphée avait pour interdiction de se retourner lorsqu'il ramenait Eurydice hors des Enfers mais il l'a fait. Il semblerait que sa vie entière en ait été totalement bouleversée: son entendement, sa joie, sa sexualité... Giorgio Agamben m'invite là à une interprétation plus personnelle de ce passage d'Orphée. Les dieux ne le mettaient-ils pas finalement en garde contre la vérité ? Peut-être qu'il ne s'agissait pas tant de se retourner sur Eurydice qui était interdit. La version de Jean Cocteau abondait aussi mais pour d'autres raisons sur le caractère polymorphique d'Eurydice. N'y aurait-il pas plutôt dans la menace des Dieux l'interdiction formelle de les regarder, eux-même, à visage découvert ? Aussi les créatures ne sont-elles pas que de vulgaires distractions mais des intelligences plates qui maintiennent la vue de l'homme trouble, qu'il n'ait à déchirer le voile des illusions et à se retrouver aveuglé par la vérité.

Les animaux voient les images. Les hommes voient leurs apparences. Les apparences se modifient en fonction de l'angle ou de l'ordre dans lequel elles entrent dans l'être. Elles définissent sa mémoire et le conditionnent de ses sentiments avec son souffle. L'amour même, revisité et remis au goût du jour par les troubadours, serait un ordonnancement de ces apparences, une sombre tactique, un dérivé d'une leçon bien plus narcissique concernant la recherche de sa propre possibilité d'être. D'être mis en face de ses souvenirs. Je sens bien que je créé ici des ellipses radicales mais il s'agit de ce à quoi me servent les instruments de la philosophie : d'une efficacité, de sa mise en pratique, de son intégration personnelle. Martin Heidegger s'entretient de nombreuses fois avec Hannah Arendt dans leur correspondance à ce sujet, de manière plus tendre et décalée. Il s'agit semble-t-il d'une sorte d'espoir consistant à une toute autre expression de l'existentialisme, celui de hisser comme la plus grande preuve d'amour le laisser- être. Le laisser-être, peut-être déjà "l'à-côté".




Hannah Arendt a écrit un commentaire sur la remarquable qualité de Walter Benjamin à user de la philosophie, de l'histoire ou de la littérature comme d'une matière poétique. A cela elle ajoutait son invention et sa spécialité consistant à faire glisser les textes les uns vers les autres aux endroits les plus appropriés, de les reprendre ou de les poursuivre avec la plus grande courtoisie. Giorgio Agamben est un des héritiers les plus distingués de cette méthode et de la croissante complexité sémantique qu'elle implique. Ainsi il reprend dans sa théorie de la singularité quelconque un moment de constante curiosité qu'aura Walter Benjamin à l'égard de la pensée chassidim et la relecture qu'en aurait eu Franz Kafka. Ici Walter Benjamin regarde curieusement donc la place du paradis religieux et celui aujourd'hui qu'on pourrait croire évidemment perdu ou le plus souvent inexistant. Là, ni l'un, ni l'autre, le paradis serait à peu près pareil qu'ici et maintenant. Il serait aussi juste à côté.

Ainsi, semble-t-il, je fais de cette pensée plurisémique une lecture personnelle, en travers, analyse oblique de l'image et de son utilisation par les hommes. De la nécessité de l'art d'interroger ses différentes étapes et du pouvoir qu'elle a exercé et qu'elle exerce plus que jamais sur notre inconscient collectif. Enfin de trouver des solutions ou de proposer au plus vite des activations d'épanouissement profanateurs.

*la biologie, la philosophie, la littérature, l'art

Sylvain Pack

2 commentaires:

  1. bonjour je suis à la recherche d'une photo de Martin Heidegger et d'Hannah Arendt jeunes pour une couverture de livre donc en tres bonne définition comme celle que vous avez sur votre blog, pourriez vous m'indiquer vos sources, merci.

    RépondreSupprimer
  2. Veuillez m'excuser car je ne possède plus les sources, qui auraient, semble-t-il, disparu du réseau.

    Ceci dit, mes encouragements pour la réalisation de ce livre. Je vous recommande, si vous ne l'avez pas encore découvert, la lecture du petit ouvrage d'Agamben et de Valeria Piazza qui évoquent cette même relation : "L'Ombre de l'amour. Le concept d'amour chez Heidegger" , traduit chez Payot & Rivages en 2003.

    Sylvain Pack

    RépondreSupprimer