L'impératif républicain, face aux anciennes hiérarchies sociales dominantes, a permis la reconnaissance de l'individu, de ses choix de vie et de ses opinions, et plus récemment de l'enfant et de la femme. Ces progrès ont permis à l'individu d'acquérir aux yeux de la loi une première autonomie, une première indépendance de pensées et d'actions. Ses libertés personnelles s'en sont trouvées renforcées. Il lui est par exemple possible d'être un travailleur libre sans avoir à appartenir à une caste dévolue ou à un seul secteur d'activités; il lui est possible d'être indépendant dans sa pratique et tout autant créateur de sa discipline. Émancipation né de la révolte et de la récupération de droits pour l'homme et pour sa propre liberté, mais cette application est toujours menacée au regard de l'esclavage comme une continuité technique de domination et comme un relais de ses crimes. La jeunesse de ce progrès et sa laborieuse intégration conduisent potentiellement à un mieux-vivre. La liberté d'entreprendre, l'obtention, la "gagne", la victoire, appellent les lauriers, les médailles et le podium, donc la représentation de soi. La découverte du gain de sa propre image et de sa diffusion médiatique ne déborderait-elle pas de cette nouvelle situation ? Les "communiquants" ont d'ailleurs bien compris le système en usant d'images et de photographies trompeuses. Se présenter au monde sous son meilleur jour est bien le meilleur moyen de naviguer dans une économie qui repose sur la publicité. La commercialisation des objets, des échanges et enfin de toutes les valeurs auxquelles l'homme aspire, a, elle aussi, subi la dérégularisation des marchés. Dès qu'on a compris comme contourner la loi, inventer de l'argent et manipuler l'opinion, tous les sujets sont bons, toutes les vols de concepts sont opportuns. On pourrait faire ici résonner le sinistre slogan, initialement capitaliste, "Arbeit macht frei", qu'on a d'abord trouvé comme enseigne au-dessus des usines puis dans l'entrée des camps de concentration et des goulags. "Le travail rend libre" mais quel travail et pour quelle liberté ?
mardi 29 septembre 2015
Liberté - libéralisme / Individualité - individualisme
L'impératif républicain, face aux anciennes hiérarchies sociales dominantes, a permis la reconnaissance de l'individu, de ses choix de vie et de ses opinions, et plus récemment de l'enfant et de la femme. Ces progrès ont permis à l'individu d'acquérir aux yeux de la loi une première autonomie, une première indépendance de pensées et d'actions. Ses libertés personnelles s'en sont trouvées renforcées. Il lui est par exemple possible d'être un travailleur libre sans avoir à appartenir à une caste dévolue ou à un seul secteur d'activités; il lui est possible d'être indépendant dans sa pratique et tout autant créateur de sa discipline. Émancipation né de la révolte et de la récupération de droits pour l'homme et pour sa propre liberté, mais cette application est toujours menacée au regard de l'esclavage comme une continuité technique de domination et comme un relais de ses crimes. La jeunesse de ce progrès et sa laborieuse intégration conduisent potentiellement à un mieux-vivre. La liberté d'entreprendre, l'obtention, la "gagne", la victoire, appellent les lauriers, les médailles et le podium, donc la représentation de soi. La découverte du gain de sa propre image et de sa diffusion médiatique ne déborderait-elle pas de cette nouvelle situation ? Les "communiquants" ont d'ailleurs bien compris le système en usant d'images et de photographies trompeuses. Se présenter au monde sous son meilleur jour est bien le meilleur moyen de naviguer dans une économie qui repose sur la publicité. La commercialisation des objets, des échanges et enfin de toutes les valeurs auxquelles l'homme aspire, a, elle aussi, subi la dérégularisation des marchés. Dès qu'on a compris comme contourner la loi, inventer de l'argent et manipuler l'opinion, tous les sujets sont bons, toutes les vols de concepts sont opportuns. On pourrait faire ici résonner le sinistre slogan, initialement capitaliste, "Arbeit macht frei", qu'on a d'abord trouvé comme enseigne au-dessus des usines puis dans l'entrée des camps de concentration et des goulags. "Le travail rend libre" mais quel travail et pour quelle liberté ?
mardi 6 mars 2012
Pour Mathilde Monfreux, Elizabeth Saint-Jalmes, leurs poumons, leurs intestins.
Ni putes, ni soumises, femmes exquises, gentlewomen de la crotte et de l'urine, lorsque ces deux dames collaborent, nulle censure à l'expression de ces traversées, de ces rendements. Si la sexualité n'est jamais éloigné de cette poétique en marche, c'est que formellement, l'anus est voisin du vagin. Alors expulsions, pénétrations, ingestions constituent les mouvements propres de ce discours sensible, où il est beaucoup plus question d'acceptations biologiques que de plaintes expressionnistes. Dans un commun refus d'asservissement biopolitique, les deux dames fabriquent des danses, des objets les plus dingues et les plus fidèles à leur quête de transmission. Si je les ai bien compris, il n'y a pas de raison de distinguer les médiums utilisés, on parle de tout à fait autre chose et on insiste en ce sens. La danse-contact, la sculpture, le design, le dessin, le poème sont à confondre pour un but précis : "remettre les pendules à l'heure". Le nourrisson se déploie à partir de son tube digestif. L'adulte en a-t-il encore conscience ? Sait-il que ses organes de prédation naturelle lui dictent nombreuses pensées et attitudes "artificielles"? Il y a sans doute peu de meilleurs témoins que les artistes du vivant pour témoigner de cette réalité. Le poète et théoricien de théâtre Antonin Artaud en avait payé de sa santé et de son statut social. Oui, ce n'est pas sujet lisse, quoique... Disons qu'il ne s'agit pas d'un plateau stable, tout est modification, impermanence, transfert, entropie, rien n'est sûr et consignable. La poésie prend le lied dans cette nouvelle étape. Elle est un cheval sans selle. Nous croisons ses chimères, devenir-animal, devenir-machine, le temps s'abroge pour faire place à des sensations fantastiques. Les néons sonores et fragmentées de Guillaume Pons exacerbent nos perceptions individuelles. L'outil géant et mou d'Elizabeth Saint-Jalmes pend dans un espace renouvelé, ouvert à nos mémoires. Les partitions glossolaliques et ultra-changeantes de Mathilde Monfreux nous meuvent, frayent en nous une ode régénérante, affutée comme une lance invisible, comme un larsen.
Sylvain Pack.
samedi 16 avril 2011
Quête de non sens
* Michel de Certeau
** Composition Instantanée : Pratique perfectionnée de l'improvisation en un espace-temps défini par ses participants.
Sylvain Pack.
mercredi 16 mars 2011
Prémices d'un art humain
Ses manifestations d'une voie nouvelle évitent la classification des médiums, privilégient la nécessité, l’utilité, la réaction. Même si elles sont issues de pratiques identifiées (beaux arts, littérature, danse ou théâtre…), elles s’en servent à des fins efficientes. Aucun art qui pourrait s’apparenter à ces effets n’en est exclu. Aucun moment de contemplation n’est considéré comme inutile, aucune neutralité n’est suspecte de lâcheté, aucune conceptualisation ne pourra être assimilée à un égoïsme élitaire. Toute façon, tout procédé est le bienvenu.
On pourrait se dire qu'il s'agit là du propre des oeuvres d'art. Prêter des émotions, provoquer un instant, se décaler, se détacher, ouvrir sa perception, réveiller l'inconnu. Toute production invite un autre temps, découvre un nouveau ciel. C'est pour l'homme, comme sa respiration, indispensable de respecter sa nature créative et d'en extraire une habilité afin qu'il évacue son énergie et trouve une place parmi les siens. Oui, peut-être, mais pour cet art typiquement humain, il s'agit justement de cela: être au service d'une cause qui dépasse son créateur. Un acte venu sans doute d'un impératif créatif (lyrique, thérapeutique, communicant...) mais qui concerne éminemment le corps groupal, l'autre, la planète, le rhizome, le foyer biologique et les moyens, si ce n'est de s'y épanouir, de nous y intégrer.
Peu importe la rupture ou la discontinuité à revendiquer dans l'histoire de l'art, ce mouvement de préoccupations et de consciences n'est pas soucieux de prévaloir ses motifs de rejet de l'ancienne garde. XIXème et XXème siècle se sont construits ainsi en briques, chacune voulant faire tomber l'autre, alors qu'il s'agissait d'un simple "tetris", d'un maillage si plane que Deleuze et Guattari ont parlé de plateaux. Le mur aboli, comme les tomettes en métal de Carl André, suspendus dans l'espace. Nous, aujourd'hui, faisant des lectures individuelles et collectives, jeux maintes fois vus et revus autant dans les écoles d'art que dans les universités : mentionner ses influences dans des petits cercles et les relier entre eux. N'y-a-t-il pas là la nécessité impérieuse de créer un sens à ces rapprochements ? Sens formel, sens conceptuel, sens politique ?
Je m'étonne d'arriver à ce point polémique du sens en art, débat souvent considéré comme douteux, voire réactionnaire. Motivant à la fois puisque il semble qu'une réalité artistique de ce début de siècle puisse aussi être interprétée comme une progressive et passionnante quête de non-sens (prochain article dont acte !).
Sylvain Pack.
mercredi 29 décembre 2010
Pour Bruno Dumont, tableaux et tabous.
L'humanité nous proposait de suivre les tourments affectifs d'un être marginal, vivant chez sa mère, dont tous les évènements du film tendaient à suspecter la morale. Le pire menace et traque la conscience du spectateur tout au long des séquences. Pourtant le silence de Bruno Dumont repousse notre colère, jusqu'à faire céder les acquis de nos propres jugements. Les tableaux demeurent, les couleurs du nord résistent et la grâce saisit peu à peu les longs déplacements de Pharaon, interprété par Emmanuel Schotte. Le pari pris sur la présence et la participation du spectateur est si affirmé qu'il induit, à la fin du film, un geste de confiance qui lui est alors remis. Bruno Dumont parle lui-même de victoire pour le spectateur. Ses films sollicitent effectivement en nous une autre qualité de réception, celle que demandent certains tableaux.
Cette lente inscription visuelle et sonore, transmise par la fréquentation d'oeuvres picturales, nous permet un temps plus adéquat à la con-naissance. Réapprendre sans les erreurs de l'accumulation ou d'un acquis scellé, renaître pour agir, c'est regarder les méandres, les consulter et les résoudre. Les tableaux parlants d' Hadewijch ou de Flandres inspectent ainsi sans avis interposé la violence et la quête d'absolu de l'homme par touches sûres et étudiées. Le réalisateur restitue la manière dont la lumière contraste et peut brûler la peau de personnes singulières pris dans un moment intense de leur parcours. (...)
mercredi 15 décembre 2010
Pour Alexandra Guillot et la poésie en art plastique.
Cette pièce environnementale et féerique, plus auto-biographique qu’on ne le pense, est l’aboutissement de nombreux essais et connaîtra-t-elle encore sans doute d’autres activations. Je crois que l’exercice de répétition formelle est à la base de la majorité des réalisations d’Alexandra Guillot. Sans démonstration aucune mais en connaissance de causes (les dates et les photographies d’Opalka, les cartes et l’encre d’Alighero Boeti) Alexandra Guillot recouvre des cahiers à carreau d’innombrables croix distinctes, faites au stylo, les unes à côté des autres, remplissant chaque jour des pages, et des pages, et des pages… En existent-t-ils de parfaites ? Sur les milliers déjà tracées, y en aurait-il une identique à une autre ?
Ce travail d’anti-mort, de présence à la mort est une sombre introduction à l’éclosion et à la diffusion actuelle de son vocabulaire plastique mais il trouve légitimité dans l’observation de ses matériaux et de leurs agencements. Le stylo et le cahier en sont de redoutables. Évidents, fragiles, forts. On peut tous mourir. On va tous mourir mais nous en avons différemment conscience. Je crois qu’Alexandra Guillot le répète sans cesse sur ses cahiers du tout-le-monde. La vie du cahier est une prison inflexible sur laquelle l’artiste coche le temps. Et pendant que cette méditation active se répète, les cahiers deviennent peu à peu des sculptures solides et muettes, au milieu du vacarme des productions de l’art, redonnant toutes les libertés au vacuum de la papeterie, de la lettre, du message.(...)
Alexandra Guillot fait aujourd’hui une lecture toute personnelle de l’art post-moderne et de l’art contemporain. Tout comme l’utilisation constante qu’elle a du Yi-king, des bâtons et de la fumée, la jeune sybilline redistribue les cartes d’un jeu de l’art plus que secoué, pour en faire des énigmes individuelles, toujours plus coriaces, toujours plus sérieuses. Au-delà d’un jeu de mot et d’une participation à l’exercice de la fameuse phrase lumineuse, que vois-je dans la dernière pièce que l’artiste réalise pour écrire le mot néon avec du fil électrique au bout duquel une ampoule brille ? … certes une appartenance désormais familière à l’arte povera, à l’humour de Bruce Nauman et de ses descendants mais j’y trouve surtout de quoi m’y perdre. Ce qui est devenu pour moi, sans que je m’en rende compte, une sorte de critère d’appréciation. Être perdu mais guidé, les yeux dans l’inconnu mais que je sente encore comme une présence, une tension.
Ici cela pourrait être comme :
- une action qui échappe à la tautologie formelle qui devrait l’attendre.
- le résumé d’un poème nostalgique et néantisant. Un haïku, un casse-tête chinois (qui n’est pas étranger à son parcours de jeune artiste puisqu’un post-diplôme d’étudiant en art lui avait été octroyé en 200 (?) pour qu’elle poursuive et déroule ce lien à une pensée asiatique déjà féconde).
- une indomesticité de l’Idée, « Ceci n’est pas une pipe » (René Magritte)…
La main qui est tendue ici pour moi, en tant que spectateur, c’est la simplicité et l’accessibilité à la réalisation factuelle de l’objet. J’ai l’impression que j’aurais pu le faire… Nous pouvons tous faire de l’art. Je pense maintenant qu’il s’agit plutôt d’une distinction gracieuse et secrète de présenter son regard au monde, cachant habilement la réalité autrement plus complexe de faire aboutir des processus artistiques et celle de faire plier la matière à des fantasmes ou des contradictions personnelles.
J’imagine dans les gestes d’Alexandra Guillot une dévaluation consciente de la matière, comme pour mieux s’en jouer, une dépréciation active, qui lui permet beaucoup de liberté dans les matériaux utilisés, qui lui permet de « rehausser », de « rejoindre » sa vie aux poèmes épars qu’elle écrit. « Fragile, Fragile… » sont les mots que répètent sans cesse de longs scotchs déroulés, tressés habilement, recouvrant l’entièreté d’un parquet. Voici une pièce d’Alexandra Guillot dont on peut immédiatement saisir toute la dimension vibratile, reconnaissable entre milles, à la façon du scribe patient et méticuleux, conscient du mot, de convoquer les autres, les cachés, les « fragiles » : raboteurs, « galériens », manutentionnaires.
Qui n’eut pensé à telle intervention si ce n’est le poète, qui retrouve, sur le plus usité des appareils humains qu’est le sol, l’immensité d’une page ? Alexandra Guillot passe beaucoup de temps avec elle-même. Sinon elle travaille pour nous, régulièrement, de manière discrète, observatrice de certaines beautés, de certaines disgrâces qu’elle mentionne et conserve pour réfléchir à posteriori, pour penser des raisons de vivre. Je veux ici distinguer veux le dépassement réaliste des avant-gardes du XXe siècle et surtout, en sus-dit, la lucidité acquise d’un monde sociétal inégalitaire et auto-réprimé. Le récit journalier qu’elle avait entrepris lors de son séjour en Chine (qu’elle pourrait tout autant reprendre, aujourd’hui, en France) et dont je fus un des heureux lecteurs en est le dernier et parfait exemple : jamais l’artiste ne manqua de jaillir au milieu d’annotations intimes et d’élargir notre expérience affective à une expérience réactive, électrique, de révolte commune.
http://www.dailymotion.com/video/xg7vlc_silencio_creation
Sylvain Pack.
samedi 20 novembre 2010
Pour Luca Guadagnino, Tilda Swinton e loro Amore.
Dans ce cinéma spectaculaire, conscient de ses effets et généreux en artifices, la littérature semble pourtant s'immiscer et imposer une narration attentive. Evitant la pensée unique, elle dissimule son jeu, avec sa pluralité d'individus, de vies uniques et précieuses parce que l'écrivain s'attarde à leur existence réelle, méjugeables, indépendantes et intriquées, au milieu desquelles se dessine la passion amoureuse et irréversible d'Emma Recchi. Difficile de retranscrire ses impressions quand l'interprétation trouble le spectateur au point qu'il ait l'impression de se plonger dans l'être d'une femme et dans ses aspirations, et que toutes les images du film semblent passer par cette même sensibilité. C'est une longue histoire qui habite ces images, une amitié professionnelle qui lie Tilda Swinton, l'héroïne souveraine de ce roman filmique et Luca Guadagnino son réalisateur. L'obsession commune qui les motive depuis 10 ans est tellement simple qu'elle en est effroyablement ambitieuse : celle d'élire le sentiment amoureux comme le personnage central d'un film.
vendredi 12 novembre 2010
Pour Patrick Watson, une "musique libre".
Génération de stars vocales qui ne cachent plus ses références, qui ne tuent plus ses pères mais les mettent en avant jusqu'à revendiquer les mêmes textures, les mêmes formes, comme si ce lien manquait et qu'il fallait le combler. Arcade Fire portée par la fougue de The Cure, de David Bowie, Patrick Watson par Jeff Buckley, Pink Floyd... S'ancrer dans une musique récente, encore vivante, puis tisser des liens avec les prochaines, patiemment, en apprenant sur scène, en exerçant ses sensations avec le public. Se rendre poreux, travailler la surface, devant 5000 personnes, risquer la fragilité d'une ballade pour des amis croisés. Avoir l'impression que donner ce moment est plus important que de savoir le jouer.
Je parlais avec un ami, anthropologue sonore, de musique libre, terme qu'il semblait vouloir emprunter pour définir une musique décomplexée, tout un chacun jouant comme il peut avec ce qu'il veut donner pour entrer en relation avec l'autre. Ce qui n'enlève en rien au fait de savoir, de connaitre un air, un instrument. Bien au contraire, une musique libre comme une invitation à découvrir sa propre manière de jouer. C'est sûrement de là que Patrick Watson est parti et a pu rencontrer Lhasa de Sela pour nous offrir les compositions bouleversantes de Wooden arms. Lhasa est aussi une musicienne errante, d'origine canadienne, fille de voyageurs, prompte au jam partagé au détour de la route. Chemin d'amours et de solitudes douloureuses accueilli par la voix extraordinairement écoutante de Patrick Watson. Particularité rare de ces corps : instruments accompagnateurs, parfois si loin derrière et parfois si proche, sans jamais se dérober à la présence de l'autre.
lundi 31 mai 2010
Pour Sylvain Pack, une machine à couper le beurre.
Une personne qui porte au public le produit de sa méditation devient la proie du jugement dès le premier et le simple fait de sa signature. Quand l'auteur signe, il triomphe de sa pensée et de sa production en indiquant sa parenté à l'oeuvre. Même s'il lui arrive de dévier sa parenté en recourant au pseudonyme, il lui sera difficile de ne pas être responsable. Or faire oeuvre, dévoiler sa recherche, la porter au flux et à son utilisation ryzhomatique peut faire disparaître cet auteur. Le temps s'écoule et ne retient rien mais l'humain choisit le plus souvent de garder des noms, d'écrire des chemins de pensée, de créer des écoles. Nous racontons, nous citons nos modèles, nous en faisons des masques mortuaires, des médailles et des billets. La démocratisation des stars, les entreprises d'académies de stars répondent à cette demande de reconnaissance et de souvenirs.
La création anonyme y répond d'une autre manière. Déstabilisante certes parce qu'elle demande à l'auteur de perdre son aura mais enfin soulagé de son obéissance aux codes claniques, elle s'invente des panthéons plus subjectifs.
La création amateur évoque la réalisation du projet communiste, viable et pérenne. L'envie de dissoudre les seigneuries régnantes et de partager les biens et les savoirs dans la communauté semble se réaliser dans cette histoire de l'art dont nous parlons. Cette histoire d'un art brut, d'un art des fous, des enfants et des animaux acceptés, cette histoire d'un art collectif, des regardeurs qui font le tableau. Cette histoire d''un spectateur émancipé est l'arme qui, insurgé contre le capital amassé, attire l'égalité.
Nos outils de communication, de relation interplanétaire et notre accélération démographique déplacent ces références et les exposent à un universel plus conscient de sa taille et de son interconnexion. Si, paradoxalement, l'auteur est confronté aux vertus grimpantes de cette pensée anonyme ou amatrice, il connait d'autre part l'accessibilité immédiate au réseau mondial. Qu'il le veuille ou pas, le résultat de son travail peut circuler et se modifier plus rapidement qu'à l'ère de l'imprimerie. Sa production est plus accessible, plus piratable, plus malléable. On peut en trancher une part sans difficulté. L'auteur est comme du beurre. Il se mélange à son oeuvre et y dissout son nom. Le produit peut dépasser l'auteur. Parfois, au contraire, l'oeuvre moribonde et égocentrée décapite la tête de son père et disparaît à jamais sans direction, sans cerveau pour la guider. Comment l'auteur se livre à l'oeuvre, comment il la porte ou la remue, comment il s'en extraie ou comment il s'en exclue est la nature même des réflexions des pour ou contre de ce blog.
Sylvain Pack
samedi 3 avril 2010
Contre Lucy et Jorge Orta, les arroseurs arrosés.
Ce piège dans lequel est pris le couple Orta est emblématique en fait d'une question beaucoup plus large qui devrait trouver au XXIème siècle des échos et des réponses surprenantes. Romantisme, symbolisme, impressionnisme, expressionnisme, cubisme, dadaïsme, situationnisme, chacun de ses mouvements a tenté à sa façon de s'échapper de son milieu. Cassant des codes à sa mesure, transgressant les médiums, intellectualisant sa recherche, il y a clairement un lien entre eux et nous, une révolte, un refus ou une dénonciation. Le fait que le 19ème et le 20ème siècle soient en constante destruction et révolution de son langage plastique est significatif d'une accélération du temps devenu centrale pour les hommes. La figure de l'artiste en évadé peut nous faire entendre une volonté consciente ou inconsciente de ne pas se faire enfermé par celui-ci. Miroir d'un monde qui se réduit, qui chiffre tout rapport et pondère inexorablement notre histoire d'étapes, de tendances. Que les artistes peintres et plasticiens en épousent ou en détournent les formes, tous ont eu, et ont maintenant à se soucier de la manière dont l'histoire et le pouvoir se saisissent de leur production.
La question de la récupération et de l'utilisation de l'art devient caractéristique à la relecture des artistes qui tentent une percée de l'art inédite dans le monde du réel : Marcel Duchamp, Robert Filiou, Georges Maciunas, John Cage, Vito Acconci... En effet l'effacement de l'artisanat, du support ou de la signature pour un réel expérimentable peut apparaître comme une tactique d'évitement ou de mort clinique des oeuvres en musée. Concepts, plans ou partitions sont des formes qui défient la sacralisation de l'art et la consommation culturelle. Si ces artistes s'y sont essayé, était-ce si innocent ?
Pour Lucy et Jorge Orta, comme pour beaucoup d'artistes contemporains, toutes les esthétiques développées par le XXème siècle sont un grand sac où il est bon de se servir tant qu'il s'agit de se faire identifier et de faire passer son message. Un einième geste publicitaire dont on pourrait se demander si les penseurs de fond ne sont pas les commanditaires. Mettre en spectacle sa révolte écolo-humaniste est typiquement ce qui conforte et habille de bonne conscience les structures culturelles, le ministère de l'environnement, de l'éducation voire de l'immigration...
samedi 26 décembre 2009
Open forms, new economies
Les productions de l'art sont quant à elles répertoriées, quantifiées et évaluées selon des critères pour le moins tenus secrets dans différentes castes qui se regardent en chiens de faïence et ne manquent pas de rivaliser à grands coups de réceptions de prestige, de prix honorifiques et de ventes mythiques. On pourrait donc assez vite ajouter dans la liste du "tout un chacun artiste" l'existence de marionnettes conceptuelles dont la créativité ne pèse pas ou si peu face à ses actionnaires. Les circuits entrelacés que sont ces milieux d'acheteurs, de diffuseurs, de commissaires et d'artistes continuent de catégoriser et de chosifier le flux créatif alors que leurs citations peuvent aller hypocritement à ceux qui plient et rendent l'art à la vie. Syndrome occidental presque chrétien que de se cacher et de s'organiser derrière l'image du rédempteur ?... mais les poètes persistent, anti-héros de leur ère, continuant à emboiter le pas sur la pensée. Les musées, les théâtres, les éditeurs se doivent de réfléchir là comme les antécédentes maisons de disques. La production musicale a bouleversé son support à de nombreuses reprises et à plus d'un titre. L'innovation sonore, affranchie de ses anciens codes et les réinventant sans cesse, semble formuler de nouvelles économies humaines. Des musiciens et compositeurs tel John Cage, Moondog, Luc Ferrari ou Cornelius Cardew ont su rendre à la production une nécessité vitale, accessible, sans la sacrifier à l'hymne ou au refrain, sans en ôter la complexité sensible.
Aujourd'hui les ramifications de la recherche sonore sont innombrables et l'exigence de leur mouvement s'infiltre dans tous les domaines urgents de la vie. Le noise, le streaming, la fusion, le slam, la phonographie visitent et fructifient la biologie et l'écologie, la communauté et son organisation.
La moitié du vingtième siècle a vu ainsi apparaitre des formes ouvertes dont on retrouve partout l'efficacité et l'espoir d'attentions accrues. Je citerai pour ma part, et ceci, vu d'un seul angle de la planète, la naissance de médiums ("langages") efficients et circonscrits à l'expérience et aux dévouements de vies entières : la danse-contact, le théâtre-forum, la poésie sonore, la performance, pour et par lesquels l'homme peut accéder à d'antiques intuitions et communions de sa présence au monde.
Quant à ces nouvelles pratiques, elles sont prêtes à l'emploi, toutes idéales pour accompagner la décroissance ou le refus de coopérer à la destruction de notre expérience. Elles comprennent et s'invitent à l'exploration scientifique, au développement technologique. Leur alliage peut s'affiner en de solides résistances inter-humaines. Plus elles seront nécessaires à la survie de notre communauté et plus elles seront inutiles à son exploitation et à son individualisme.
jeudi 9 juillet 2009
Pourquoi la droite n'aime pas la drogue ?
La main droite, celle qui dirige le plus souvent, détient fermement les clés de l'Europe en ce début de siècle. Elle n'est pas prête à les relâcher de sitôt, quoiqu'en disent des socialistes rassérénés d'idéaux. Elle l'a remportée au prix d'un désastre humain dans lequel s'illustrent les périodes parmi les plus accablantes de notre histoire : les guerres mondiales, la guerre froide ou l'instauration d'un Tiers-Monde. Berlusconi, Sarkozy, pour prendre les présidents européens les plus tape-à-l'oeil, ne sont pas des êtres égoïstes et névrosés pour rien, ils ne vouent pas un culte à la réussite sans raison. Je veux dire par là que le terrain est préparé à leur arrivée. Anciens mussoliniens et autres figures fascisantes avec qui il faut obligatoirement traiter pour monter les marches... Je ne parle pas de marionnettes mais pense plutôt à des familles, à des entreprises et enfin bien sûr aux banques historiques qui ont orienté et orientent toutes les grandes manoeuvres politiques par le poids de leurs finances. Le sujet devrait ici se corser et je ne pense pas avoir besoin d'être dans les secrets d'état ou de paradis fiscaux pour couronner mon résultat, je me contenterais de m'appuyer sur l'histoire récurrente et machiavelique de la manipulation des plus forts sur les plus faibles. Avancer une telle relation pourrait-on me dire relève de la diffamation et de l'ignorance. J'insiste alors en vous proposant un temps pendant lequel la main d'un droitier n'est qu'un outil de vengeance déguisé sous un gant à facettes, ondoyant et renvoyant mille réalités autrement plus malheureuses, telle par exemple le visage de son porteur fatigué et distrait par des hallucinations avec lesquelles il s'entretient. Tantôt Dieu le rassure et le pardonne, tantôt le diable lui soumet de nouveaux projets. Prisonnier alors de visions éculées, il s'en retourne hagard et livide, la main gauche amputée, sans passeur, sans chamane pour lui expliquer le délire haineux dont il a été responsable.
Les drogues sont des aliments, des boissons, issus de végétaux intelligents. Elles provoquent des effets, elles nécessitent équilibre et excès, connaissance des saveurs et des mélanges. L'ivresse du vin est éminément liée à la qualité de son crû et de sa fermentation. La vibration mondaine et chaude du vin emporte les gens dans un dialogue festif et fraternel. Le haschich sensibilise à la connaissance et fait danser la psyché. Les psychotropes approfondissent la vue...
Je ne vois finalement qu'une raison qui empêche l'éducation, l'histoire, la légalisation de plantes sacrées en Europe mais qui favorise son exploitation pharmaceutique, les cartels et sa criminologie : la concurrence. La concurrence trop puissante sur ce marché et le retard économique considérable de notre vieux continent, qui a mis des années à combattre et à rationaliser des pensées par trop "sauvages".
lundi 18 mai 2009
De l'importance de l'obscur.
Le peuple est l'entité la plus manipulée, la matière la plus sûre et la plus passionnante à expérimenter. Elle se quantifie, s'évalue, se vérifie et ce plus nettement depuis que les organes de pouvoir tel que le nazisme ont pu testé librement l'industrie à des fins d'éradication humaine. L'élimination de masse a permis de grands progrès dans la numérisation des déplacements humains; elle a favorisé une forme de déshumanisation ultime, rendant l'acte barbare à une activité distante et professionnelle de comptable. Les prémices de cette atrocité à l'égard de notre propre espèce remontent à la nuit des temps et les thèses conspirationnistes sont à ce propos très éclairantes. Bien sûr leurs provenances sont souvent douteuses, ce qui fait paradoxalement leur qualité (la difficulté de connaître l'origine de leur divulgation). Une provenance multiple.
L'obscurantisme pour autant n'est pas souhaitable et les conspirateurs et révolutionnaires de tout bord le savent bien : le culte de l'équivoque et toute bigoterie aveuglent l'instinct du penseur et de l'assaillant. L'obscurantisme est un mode de dilution de l'intellect et de divertissements utilisé par les médias corrompus, le show business, la publicité et la propagande cinématographique. Les ennemis ne se sont jamais autant clairement définis. L'étau se resserre. Ils le savent et c'est pour ça qu'ils se protègent, qu'ils crient fort, au scandale, au délitement social et à l'ordre !
dimanche 29 mars 2009
Pour Matthieu Montchamp, peintre impoli.
Je connais deux peintres qui aiment l'action de peindre et dont les calculs et les problématiques ne visent pas que le seul public. Le premier, dont je vais essayer dans cet article de tenter une approche idéelle s'appelle Matthieu Montchamp. Je regarde son travail depuis une dizaine d'années et, à chaque visite de son atelier, il me semble comprendre la nécessité ou l'évidence que cette peinture soit. Autrement dit que les choix draconiens de Matthieu Montchamp, dans ses évacuations, ses violences et ses repentirs, imposent au spectateur une vue inimitable sur notre condition humaine.
Ma dernière invitation à son atelier confirme ce point de vue. Le peintre insiste dans ses visions, il a besoin de notre regard mais seulement pour partager le chemin déjà parcouru. A l'inverse de la tragédie colorée de Mark Rothko (des tons chauds et clairs déclinant vers l'obscurité), Matthieu Montchamp jette soudainnement des couleurs crues sur ce voyage en Absurdie d'où l'homme a encore disparu, laissant la trace de ses actions et de sa présence comme le fantôme d'un terrible loisir. On y décèle des cabanes abandonnées sur des tubes de pvc, des totems effrayants et comiques (...) Porte-manteau, méduse ou Baphomet ? Des objets domestiques rendus à leur plus fatale inutilité, agencés à la manière de monstres goguenards, de grimaces sociétales.
Sylvain Pack
jeudi 12 mars 2009
Pour Tante Hortense et l'air qui l'inspire.
Sylvain Pack
dimanche 8 février 2009
Le désappartement.
Qu'un appartement puisse servir de support à l'art n'a rien d'un fait nouveau, du premier musée d'art moderne aux Etats Unis fondé par Katherine S. Dreier et dont Marcel Duchamp était le président aux galeristes débutant leur pratique à domicile, l'exposition d'art a eu le temps de s'accommoder de toutes les contraintes de l'habitat humain. En revanche que l'habitation devienne elle-même l'expérience artistique est un fait plus rare et il en est resté de troublants souvenirs, difficilement conservables, souvent disparus ou retournés dans la sphère du privé. La Totes Haus U.R, le Merzbau, la Whitehead's House, le Conical Intersect, autant d'oeuvres poussées à leur paroxysme formel et qui, pour chacune, semble s'être révélée au public comme une pièce maîtresse de leur auteur.
« Le 2 rue hôtel de ville nous a toujours été étranger. Il constitue pourtant notre premier abri, protection contre le froid, contre le chaos urbain, le bruit et les intempéries (...) Le désappartement (the diflat) scelle nos divergences, clame notre silence artistique. Il n’y a aucune volonté thématique mise à part une attention chronique, ‘a guarantee of sanity’ (Louise Bourgeois), portée à la relation humaine (...) Distance de cloison pas si épaisse, car à force de gratter au lieu de recouvrir, le mur pourrait devenir panpsychisme (...) Dessus le ‘Lynch’ naturel de l’entrée (papier-peint fleuri, jaune et cramoisi) un arbre a été tranché et vous ne le verrez peut-être même pas car un autre s’y dessine, au scotch, au cutter, à l’encre de chine. (...) L’entretien du lieu de vie est devenu une activité artistique. Le mouvement qui y confère crée des solutions utilitaires et domestiques improbables, simplifiées. Le mouvement vers une harmonie plastique fait ici pour l’instant la soustraction du gadget, du luxe. Il est fécond en images et en sons (...). Dans la chambre près du salon une tapisserie de photos de voyage a explosé sur le plafond et les quatre murs...»
mardi 3 février 2009
Pour le cathartique, le misérable, le scatophage, le saignant Jean Louis Costes.
Ne croyez pas pour autant que ces méthodes ont été oublié. Bien au contraire, les systèmes de défouloire ont été tout à fait intégré à notre société de consommation. Ainsi les loisirs, le sport et la culture font le maximum pour donner l'illusion de cette liberté communautaire retrouvée... mais comment et où, au juste, retrouver le temps et l'espace de cette rencontre ?
Hakim Bey a, par exemple, pensé aux TAZ (Zones Autonomes Temporaires), les travellers et les techno-tribes ont eux répondu par des free-party. La Rainbow Family ouvre à quiconque ses grands rassemblements d'amour et de paix. Jean Louis Costes s'offre quant à lui, depuis une trentaine d'années, des petites transes en cave avec quelques uns de ses fidèles, partageant avec eux projections gastriques et névrotiques.
Le public présent semble tout à fait disposé à se faire peur ou à regarder de plus près ce qu'il n'oserait partager lors d'une discussion en plein jour. Il faut dire que Jean Louis Costes est rapide et a l'amabilité de nous mettre très vite sur un plan d'égalité psychique. Effectivement il lui faut en général à peine deux minutes pour nous saturer de toutes les pathologies possibles et développables à partir des origines de notre conception, de la formation de notre sexualité à l'exploration de notre fécalité. Les tabous tombent si violemment et si "bête-ment" que les spectateurs n'ont peu le choix entre rires, larmes, dégoûts et stupéfactions.
A force de don et de catharsis, usé à toutes les caves et tous les squatts, Jean Louis Costes parvient à tordre son égo à d'étranges simulacres. Bien plus christiques encore. L'exhibition de son corps souvent nu, le jet fictif de ses excréments sont autant de signes de distribution compassionnelle et d'amour spectaculaire et bilatéral. Il le confirme par ailleurs dans des interviews pendant lesquels il semble succomber et regretter de dire son saisissement et ses accointances spirituelles face au crucifix. Ses mots sont à cet égard sans malentendu mais son visage souffre et ne s'amuse pas de cette reconnaissance. Alors que regrette ici Jean Louis Costes ? Vit-il la douleur de son premier assujetissement symbolique ? Y voit-il le paradoxe d'un dieu humain qui a racheté nos péchés mais à partir duquel on aurait instauré l'organisation pyramidale de notre société ou saignerait-il vraiment pour la première fois, face aux bourreaux tant haïs de la "masse média" ?
Sylvain Pack