Dans l’effort de distance et dans la crainte d’une anticipation dictatoriale d’un état-monde, on peut imaginer un réseau d’humains ayant refusé le rêve scientifique et démiurgique de l’éternité. Une communauté pluri-ethnique et pluri-philosophique qui sait qu’elle n’a pas les moyens ou qu’elle ne veut pas retrouver son corps ou sa mémoire individuelle ressuscités dans un éventuel futur de l’humanité. Serait-elle régressive ou négative n’est pas la question de cette courte investigation. D’ailleurs il ne s’agirait même pas d’une décision concertée et organisée, ni d’un programme, ni d’un manifeste ayant comme recours à la diffusion de ses arguments écoles, colloques et séminaires.
Ces vivants auraient cependant pour but une transmission désintéressée, hors de toute spéculation, fondée sur des systèmes d’inviolabilité, de protection contre toute récupération autoritaire. Ces systèmes ont d’ailleurs sans doute déjà existé et sont aujourd’hui difficiles à décoder. A l’aide du récit, de la poésie, de l’art en général, ils ont permis de nous préserver de la dégradation des consciences aux heures sombres de l’histoire. Aujourd’hui où la majorité de la planète a été remise dans les mains d’hommes d’affaire qui se cachent et ne donnent aucun signe d’amélioration pacifique et sociétale, il serait sage de penser à l’avenir des enfants, de leurs enfants, et ce qu’il leur a été transmis. Le spectacle orchestré par les seigneurs de la guerre économique est l’un des plus grands écrans de propagande et de désinformation jamais conçue, dont les conséquences désirées sont l’amnésie du peuple et sa docilité à rentrer dans des critères de rentabilité dont ils ne seront jamais les bénéficiaires. La liberté d’opinion et la circulation de la contre-information, pareil aux parodies ou aux traditions orales anciennes, rejaillissent pourtant, foisonnantes sous de multiples formes cognitives et numériques, « streamés », « remixées », « piratées » dans la sphère de l’internet. Et c’est bien l’une des raisons pour lesquelles les multinationales investissent tant de leur argent à vouloir imposer leurs propres règles de marché dans cet outil de communication afin de contraindre leur utilisateur à rester dans l'ignorance. Je crois que l’opérateur Google a joué un rôle conquérant et essentiel lors de cette bataille. Trouvant le moyen de s’imposer dans le marché réel de l’économie et d’en faire profiter ses employés de manière nouvelle, l’entreprise et le leader de son secteur, Google, a réussi à imposer au monde son propre mode de fonctionnement, équilibre étrange entre la libre circulation d’informations et la publicité ainsi que la location de certains de ses services en constante recherche d’amélioration technique. Cet organisme devient malgré lui un acteur moral incontournable. Il fait donc l’objet de polémiques complexes et difficilement cernables. Ainsi est-on en bon droit de douter de la sérénité de ses relations avec les états et notamment leurs services de renseignement. Il est effectivement normal de s’offusquer de la censure dirigée par le gouvernement chinois surtout lors des émeutes de Lhassa avant les jeux Olympiques dont le monde entier devine l’ampleur des enjeux économiques (et dont il ne profitera toujours pas). Aussi est-il normal de se réjouir et de s’interroger sur la mise à disposition des bibliothèques nationales.
Même s’il est le plus puissant économiquement, Google n’est pas le seul opérateur. De nombreux autres web-samouraïs s’emploient à continuer l’œuvre des pionners dans la défense de libertés citoyennes et la propagation sans profit des canaux d’informations appelés « le libre ». Mais il me faut reconnaître ici à quel point j’ai digressé de mon introduction. Ces combattants du libre seraient-ils eux même membres de cette communauté invisible refusant toute expérience de résurrection programmée, éloignée de toute tentative de réactivation de mémoire individuelle ? Rien n’est moins sûr.
Je regarde alors le cheminement oblique de ma pensée. Je commence mon texte en appelant à une idée de lutte et de refus. Je me méfie onthologiquement de la commercialisation de ce rêve et je dérive. En regardant par la négative à qui profite le « crime », habitué à avoir été la proie de manipulations éducatives et scolaires, j’utilise un mode de pensée paranoïaque afin de mettre au clair ma compréhension des nouveaux moyens de connaissance et de leurs transmissions. J’y reviens maintenant avec un autre regard, plus vigoureux, plus troublé aussi par l’échauffement de ma pensée :
La mort est une porte préparée par chacune de nos vies, inexorablement. Qui la craint le plus si ce n’est ceux qui sentent ne pas avoir eu le temps de se réaliser ? Ceux-la évidemment ressentiraient-ils plus le besoin de prolonger leur temps sur terre ? Ou peut-être sommes-nous déjà conditionnés depuis longtemps par la conscience de devoir mourir et regretterons-nous plus tard cette étape comme du cadeau le plus précieux que la vie nous offrait dans son accomplissement et sa raison ? Il y aurait déjà, dans cette prospection du futur, une nostalgie de la mort, des regrets à venir de quitter le concept d’œuvre, de chose conçue et achevée, qui se livre avec ou sans clé, tandis que s’ouvriraient aux éternels cyborgs que nous serions devenus, l’apaisement de l’infini et maints pouvoirs que nous attribuions tantôt aux dieux...
Jeté dans l’équivoque de ces questions, je me souviens du legs des vieux mourants. Eux qui avaient décidé de se soumettre au soleil et à la lune. Eux qui se faisaient accompagnés par leurs enfants en haut des montagnes lorsqu’ils sentaient leur fin venir, ils allaient cueillir les derniers fruits, l’air, le vent, le feu et confiaient à leur descendance ce qu’il leur était le plus cher.
Sylvain Pack
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